mercredi 30 novembre 2011

Supplique au peuple russe de ne pas oublier l'histoire

SUPPLIQUE AU PEUPLE RUSSE POUR NE PAS OUBLIER L’HISTOIRE


Les peuples slaves, perdus dans l’immensité de leur territoire, sont les derniers, apparemment, à avoir émergé sur la scène historique. Cette particularité est peut-être due en partie à la spécificité des cultures « barbares » qui privilégiaient l’utilisation majoritaire du bois, pratiquée également par les Celtes et les Germains, et qui a l’inconvénient de laisser peu de traces aux archéologues, contrairement aux autres cultures antiques, égyptienne, mésopotamienne, grecque, romaine…, qui utilisaient non seulement la pierre mais aussi l’écriture. Sans les écrits de César et des historiens romains, Pline ou Tacite, ou grecs comme Hérodote, et sans l’apport civilisationnel donné aux populations germaniques et celtes dans le cadre de l’Imperium, nous ne connaîtrions que fort peu de choses de ces cultures barbares ou présumées telles. Nous savons également que les druides gaulois par exemple, connaissaient l’écriture, notamment le grec, mais privilégiaient la transmission orale. On peut penser qu’il en fut de même pour les Slaves ou les Germains. Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle l’étymologie de la racine slav signifierait « mot, parole, parlant » cela pourrait peut-être signifier que les Slaves seraient le dernier grand peuple indo-européen à avoir privilégié la culture orale contre la culture de l’écrit. Cette hypothèse ne remet d’ailleurs pas en cause les autres étymologies liées à cette racine slav et qui peuvent signifier aussi la gloire, le renom ou désigner la région d’origine où coulait un fleuve portant cette désinence. Cette étymologie pourrait également s’expliquer par antagonisme avec la désignation de l’étranger dans les langues slaves « nemetsky » -littéralement « sans mot »-qui serait alors non pas celui qui n’a pas de mot ou qui n’utilise pas la parole, mais celui qui utilise l’écriture, notamment pour le commerce.

Il est cependant probable qu’au moins jusqu’au milieu du 1er millénaire avant J.C, il n’y avait pas plus de différence significative entre les Goths, les Vandales/Wendes, les Alains, et autres Sarmates, qu’entre les différentes tribus gauloises, Eduens, Rèmes, Arvernes, Venètes, Allobroges, Séquanes… un demi millénaire plus tard. Ces dernières, toutes issues d’une branche dite celte, et qui avaient pour origine, cette même région entre la Baltique et la mer Noire que l’ensemble des populations indo-européennes avant leur migration et leur mutation subies sous l’influence des populations qu’elles conquirent ou avec lesquelles elles se mélangèrent.

Néanmoins, cette différence culturelle profonde, dès la fin du néolithique, entre peuples de traditions orales et peuples de l’écriture, représenta probablement un antagonisme majeur entre deux conceptions du monde, qui recouvrait peut-être, l’opposition entre perception d’un temps cyclique et d’un temps linéaire.

Si l’on accepte l’idée selon laquelle les Wendes serait ce peuple qui aurait donné naissance à de nombreux toponymes situés en Europe occidentale (Venise, Vannes, Vienne…) et qu’ils furent connus et désignés comme tels, notamment par Jules César sous le nom de Vénètes dans la Guerre des Gaules, alors nous nous trouvons avec une hypothèse selon laquelle, ces peuples venus de l’est ne sont qu’un des nombreux rameaux issu de ce peuple proto-indo-européen qui existait avant que n’apparaisse la distinction entre Grecs, Romains, Perses, Celtes, Germains ou Slaves. Il est plausible également que les Wendes et les Vandales ne soient en fait qu’un seul et même peuple, sauf à admettre l’idée selon laquelle les Vandales seraient une association de deux peuples, les Wendes et les Alains qui se seraient alliés dans leur grande course qui les mena des rives de la Vistule jusqu’en Gaule puis en Espagne, et de là en Afrique qu’ils conquirent jusqu’à Carthage, avant de prendre Rome au Vème siècle après J.C. Quoiqu’il en soit, les Romains, comme les Grecs, baptisaient ces peuples du nom de « barbares » pour leur mœurs probablement moins policées que les leurs mais plus probablement parce que ces derniers n’utilisaient pas l’écriture, facteur de civilisation et d’histoire et surtout facteur de longue mémoire. Cette distinction entre Celtes et Germains est contemporaine de la conquête des Gaules par les Romains et la désignation comme telle des Slaves est plus tardive parce que l’écriture n’est apparue dans ces régions au IXème siècle qu’après l’évangélisation initiée par les moines Cyrille et Méthode.

Sur l’ancienneté des peuples slaves, il est admis aujourd’hui par la majorité des historiens sérieux que les Slaves peuvent légitimement estimer comme leurs ancêtres directs les Sarmates ou Sauromates, de même que les Vénètes ou Wendes dont on vient de parler. On trouve la présence attestée des premiers (Sarmacia) sur une reproduction du XVème siècle d’une carte de Ptolémée les plaçant sur un territoire situé au nord d’une région entre la mer Noire et la mer Caspienne et situant même une branche sarmate au nord de l’ancienne Dacie et à l’est d’une Germania Magna. Mais si les Grecs et les Romains, de même que les Perses, connaissaient les peuples Wendes ou Sarmates, ils ne les ont jamais conquis, du moins ceux qui sont restés au-delà du limes, et de ce fait n’ont pu leur transmettre cette culture de l’écrit et donc de l’histoire.

Autre facteur de retard dans l’émergence du temps historique pour les peuples slaves est leur conversion tardive au christianisme au IXème siècle, si l’on excepte le voyage que Saint Paul aurait fait en Moravie et qui est relaté dans le fameux récit de « la Chronique des temps passés » ou encore celui qu’aurait fait Saint André dans la future Ukraine avant son martyre subi à Patras sous l’empereur Néron.

Le christianisme fut non seulement une formidable machine d’unification spirituelle mais aussi d’organisation administrative et de conscience historique. On peut considérer qu’à partir de la fin du Vème siècle, sur les décombres de l’empire romain, l’essentiel des populations vivant dans les limites de l’ancien limes étaient peu ou prou christianisées, même si cette christianisation pouvait revêtir diverses formes d’expression (les Vandales par exemple, s’étaient convertis à l’arianisme).

La singularité, déjà, du peuple russe est d’avoir reçu son héritage spirituel de Byzance et non de Rome. Certes, au IXème siècle, la rupture entre chrétiens d’orient et chrétiens d’occident n’était pas encore définitive, mais on peut néanmoins affirmer que des différences notables existaient déjà entre l’orthodoxie byzantine et l’orthodoxie romaine et pas seulement sur les questions de rites ou de liturgie ni même sur la question théologique de la procession du Saint Esprit selon le Père ou le Fils qui sera la principale question de la dispute théologique qui aboutira au grand schisme de 1054. Une piste de réflexion paraissant intéressante serait celle qui étudierait les correspondances et les similitudes entre la doctrine chrétienne d'Arius, et peut-être aussi le nestorianisme avec le christianisme byzantin et son successeur direct qu'est le monde orthodoxe.

Très présente dans les esprits est l’idée reçue selon laquelle c’est avec l’arrivée des princes varègues que serait né le premier état russe. Ce que l’on peut dire de manière certaine, c’est que l’apparition de populations varègues sur la Volga ou le Don, et sans que cela ne marque un rapport direct entre les deux faits, a précédé de peu la christianisation progressive de la terre russe. On peut noter ici que l’origine strictement scandinave des varègues est sujette à caution. Plusieurs sources, et pas seulement soviétiques ou slavophiles, font état d’origines variées (finnoises, baltes, germaniques et slaves) pour ces populations qui n’étaient peut être en définitive qu’une espèce de fédération d’hommes de mer venus de peuples riverains de la Baltique qui avaient fait de la piraterie leur métier, un peu comme ces confréries de pirates des Caraïbes au XVIIème et XVIIIème siècle qui étaient composés de ressortissants anglais, français, espagnols ou hollandais. Quoiqu’il en soit, la présence à Novgorod, puis à Kiev de Varègues, attestée par la Chronique des temps passés, coïncide approximativement avec l’arrivée en Grande Moravie de l’écriture glagolitique, héritée du monde grec et non pas romain. Mais les missionnaires macédoniens Cyrille et Méthode ont transmis non pas le grec mais le slavon qui correspondait probablement à une langue vernaculaire communément parlée et comprise par l’ensemble des peuples Slaves de la Baltique jusqu’à la mer Noire. Tout s’est passé en fait comme si dès l’origine, le peuple russe avait voulu marquer sa singularité dans le monde. Dernier peuple indo-européen apparu sur la scène historique du continent eusasiatique, le peuple russe entend montrer à l’univers qu’il a sa propre vision du monde et que celle-ci n‘est pas réductible aux seuls héritages laissés par les civilisations antérieures.

Première idée-force que je voudrais exprimer dans ce texte : les Russes sont le dernier grand peuple indo-européen vivant toujours sur la grande terre des origines - et peu importe que celle-ci se situe sur les bords de la Baltique ou sur les bords de la mer Noire - un peu comme ce fils qui reste à la maison pour veiller sur sa vieille mère, alors que les frères sont partis. Les peuples indo-européens, par vagues successives et par la force des armes et de leurs chevaux, sont allés conquérir le monde, des Indes à l’extrême occident, mais un seul est resté sur la terre des ancêtres pour garder le foyer des origines : le peuple russe. Cet attachement profond à la terre, la forte prévalence paysanne dans la culture russe d’avant la Révolution de 1917, et la sanctification de la terre russe, résultent de cet héritage du fils fidèle qui sait tout ce qu’il doit à la terre de ses ancêtres.

Deuxième idée-force : Cette situation qui a amené le peuple russe à conserver l’héritage sacré des ancêtres l’a empêché de se frotter aux autres cultures comme l’ont fait les Grecs, les Romains, les Celtes, les Perses ou les Germains. De plus, l’émergence tardive de la grande Rus kiévienne dans l’histoire a donné l’impression aux Russes eux-mêmes qu’ils étaient en quelque sorte les fils cadets de la grande famille indo-européenne. Or, rien ne permet d’affirmer aujourd’hui qu’il n’existait pas de culture spécifiquement slave avant la naissance du premier état russe au IXème siècle. Rien ne permet d’affirmer non plus que le peuple russe soit le dernier peuple indo-européen apparu sur le continent. Le peuple russe, rameau central des peuples slaves fut en tout cas le seul qui a su conserver l’héritage ancestral, et qui l’a défendu tout au long de son histoire contre les invasions mongoles ou de peuples turcophones.

Ce sentiment d’être entré tardivement dans l’histoire est un des complexes ressentis par les Russes qui donnent ainsi perpétuellement l’impression de vouloir rattraper un prétendu retard, culturel ou technologique. Que ce soit sous Pierre le Grand avec l’européanisation forcée de la société russe ou que ce soit sous la mainmise communiste avec les plans quinquennaux ou le mythe du stakhanovisme qui prétendaient rattraper et dépasser l’occident, comme si la civilisation occidentale était le modèle à imiter pour ne pas disparaître dans les poubelles de l’Histoire.

Or, si l’occident a produit des merveilles dans le passé, ce temps est aujourd’hui révolu. Les controverses sont nombreuses pour dater précisément le début de cette décadence, mais on peut admettre que la grande rupture avec la Tradition remonte à la Révolution française. Depuis lors, l’occident est entré progressivement sous la domination de l’esprit marchand et nous sommes peut-être en train de vivre en ce début de XXIème siècle la fin de cette époque qui a abouti à un complet renversement des systèmes de valeur d’une société organique. Les principes sur lesquels repose le modèle occidental, exclusivement matérialistes comme l’étaient ceux de la société soviétique, même s’ils savent satisfaire mieux que le système communiste toutes les aspirations matérielles des êtres humains, sont tout comme eux totalement dénués d’aspiration spirituelle ; ils en sont même l’exacte négation. Héritier de l’humanisme de la Renaissance et surtout de la philosophie des Lumières du XVIIIème siècle, le modèle occidental, porté principalement aujourd’hui par ce que l’on pourrait appeler l’idéologie anglo-saxonne, est à bout de souffle et il serait suicidaire pour les Russes de l’accompagner dans sa chute.
De cela il découle, troisième idée-force, que le peuple russe doit inventer lui-même, doit trouver en lui-même, dans son génie propre, les forces pour proposer une autre conception du monde, pour offrir une alternative à la pensée occidentale unique et totalitaire qui domine les esprits depuis l’effondrement du modèle soviétique.

Même si la révolution soviétique peut être considérée comme un grand malheur qui a frappé le peuple russe avec son cortège de massacres et de destructions, elle a paradoxalement préservé l’âme du peuple du poison occidental en l’enfermant derrière son rideau de fer. Cette cuirasse aussi pénible qu’elle ait pu être à porter a protégé les esprits de la contamination occidentale. C’est peut-être aussi pour cette raison là que la majorité des Russes d’aujourd’hui plébiscite encore Staline et le considère comme l’une des principales figures de leur histoire.

La grande force de l’occident est d’avoir réussi à faire croire au monde entier qu’il apportait la liberté et la démocratie en même temps que la satisfaction de tous les besoins matériels alors qu’en réalité le mode de vie consumériste qu’il propose n’est qu’une arme métapolitique, un cheval de Troie, lui permettant de détruire l’âme des peuples pour conquérir le monde.

Il est grand temps d’ouvrir les yeux aujourd’hui sur la réalité du monde. Les élites anglo-saxonnes, et associées avec elles, toute une kyrielle d’associations, de clubs et de sociétés plus ou moins ésotériques, ont entrepris une marche forcée vers ce qu’ils appellent la globalisation et qui n’est rien d’autre que la réduction en esclavage de l’ensemble des nations qui constituent l’humanité.

Depuis le XVIème siècle, la stratégie des dirigeants britanniques a été de lutter par tous les moyens contre la puissance dominante du continent européen. Cela s’est vérifié au XVIème et XVIIème siècle contre la puissance espagnole, puis au XVIIIème et jusqu’à Waterloo contre l’hégémonie française, puis entre le milieu du XIXème siècle et jusqu’en 1945 contre la puissance germanique. Dernier objectif de la puissance anglo-saxonne, aujourd’hui essentiellement américaine, la fédération de Russie.

Même si ce sont aujourd’hui les Etats-Unis qui portent l’effort principal pour l’homogénéisation du monde sous leur férule, j’ai acquis la conviction que c’est en Angleterre qu’est née, probablement dès le XVIème siècle, puis s’est développée à partir du XVIIIème siècle à travers les cercles naissants de la franc-maçonnerie, cette idéologie de l’hegemon anglo-saxon. Cette vision du monde a pu poursuivre son chemin plus tard et trouver sa propre justification dans la réussite totale de l’Angleterre victorienne qui voyait ses ambitions les plus folles se réaliser : maîtresse incontestée des mers, première puissance industrielle et marchande du monde ayant vassalisé la France depuis la chute de Napoléon 1er, régnant en Afrique, en Océanie, dans le Pacifique, en Inde et jusqu’aux confins de la Chine, plus grand chose ne semblait en mesure de s’opposer à ses rêves de conquête du monde. Pour illustrer mon propos, je vous livre deux citations d’auteurs anglais : La première est de Walter Raghley, écrivain et explorateur qui vécut de 1554 à 1618 : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ». La seconde est de Halford John Mackinder, géographe et géopoliticien (1861-1947) : « Qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ». Dans l’esprit de Mackinder, ce heartland se situe essentiellement entre l’Europe centrale et la Sibérie occidentale. Autrement dit, depuis la disparition de l’Union soviétique, entre la perte du glacis occidental, de l’Ukraine et de la Géorgie, sans omettre la perte des territoires du Caucase jusqu’au Tadjikistan, une grande partie de la prédiction de Mackinder s’est réalisée.
Mais revenons un instant à l’ère victorienne. Quasi maîtresse du monde il restait toutefois à l’Angleterre deux adversaires de taille : Le monde russe et le monde germanique.

Les Russes d’abord : Toute la politique britannique depuis le conflit russo-perse de 1813 en passant par la guerre de Crimée d’octobre 1853 à mars 1856 jusqu’au congrès de Berlin de 1878, visera à contenir l’expansion russe vers le sud, vers l’est et vers l’ouest. Cette politique était en opposition totale avec la volonté des Tsars de reprendre le contrôle du Bosphore et de rendre la cathédrale Sainte Sophie à son culte d’origine afin d’effacer la honte de 1453. A l’est, le « Grand jeu » entre les deux empires aboutira à la création en 1879 d’un état tampon artificiel, l’Afghanistan, territoire qui marquera les limites extrêmes atteintes par la puissance thalassocratique et la puissance continentale. Mais après le congrès de Berlin de 1878, où l’Angleterre, la France, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, humiliaient la Russie en annulant les clauses du traité de San Stefano qui entérinaient la suprématie russe sur l’empire ottoman, l’empire britannique réorienta sa politique européenne contre la menace que représentait désormais l’Allemagne, alliée de l’Autriche-Hongrie. Cela n’empêcha pas l’Angleterre, et certaines banques américaines, de soutenir le Japon dans la guerre russo-japonaise de 1905, mais globalement, l’ennemi principal pour Londres en cette fin du XIXème siècle n’est pas encore Saint Petersbourg mais Berlin.

La France, qui n’a toujours pas accepté la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine après sa défaite de 1870 face à la Prusse, s’est rapprochée de l’Angleterre, malgré les rivalités coloniales, et entame une politique de rapprochement avec la Russie dès 1892. Cette politique d’alliance franco-russe sera à la base de la Triple-Entente, Russie, France, Angleterre, réplique à la Triplice inaugurée en 1882 entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Cette politique d’affrontements entre blocs aboutira à la catastrophe de 1914 qui verra en même temps la chute des empires centraux et de la dynastie des Romanov.

Les Français ont oublié, hélas, qu’ils furent sauvés en 1914 lors de la bataille de la Marne par l’intervention des troupes russes qui engagèrent le combat sur le front est, alors qu’elles étaient insuffisamment préparées, ce qui obligea les Allemands à diminuer leur effort à l’ouest.

La Grande guerre ne sera pas seulement l’occasion de redistribuer les cartes en Europe, elle sera aussi et surtout le basculement géopolitique majeur qui verra les élites américaines supplanter leurs aînées britanniques. Pour mieux comprendre ce basculement géopolitique majeur en faveur des Etats-Unis, il convient d’étudier la notion de relations spéciales – special relationships – existant entre les deux puissances anglo-saxonnes. Il est assez commun de faire remonter cette relation privilégiée à l’accord de septembre 1940, lorsque Roosevelt accepta d’aider Churchill en lui fournissant une cinquantaine de destroyers pour l’aider à lutter contre l’Allemagne nazie. Je pense pour ma part que l’existence de cette « relation spéciale » est beaucoup plus ancienne et qu’elle remonte probablement à la création des loges maçonniques américaines dès le début du XVIIIème siècle par la Grande loge d’Angleterre. A cet égard, on peut considérer la guerre d’indépendance américaine comme une guerre de rivalité maçonnique dans le contrôle des affaires du monde. Mais une fois réglé le différend entre Londres et Washington est née en Angleterre l’idée de rassembler les élites financières, essentiellement anglo-saxonnes, réparties sur l’ensemble du globe afin de travailler solidairement à la prise de contrôle total de l’humanité. A cette fin, fut créée une société secrète appelée la « Round Table » par l’aventurier et homme d’affaires britannique Cecil Rhodes (1853 – 1902). Cet homme qui fit fortune grâce aux Rothschild dans les mines de diamants d’Afrique du sud a jeté les bases d’un véritable réseau d’hommes d’influence qui s’est constitué notamment par la mise en place du Royal Institute of International Affairs (RIIA). Cet organisme s’est attaché à relier des hommes politiques influents, des financiers internationaux, des dirigeants de grandes entreprises, des intellectuels éminents afin d’orienter la marche du monde dans le sens de leurs prévisions. Un des objectifs principaux que s’était fixé le RIIA était d’abattre les empires centraux et l’empire russe. C’est à cette fin que fut préparée et souhaitée la guerre de 1914-1918. Cette guerre fut une réussite totale pour ceux qui la fomentèrent : disparition de l’empire des Habsbourg et des Hohenzollern et effondrement de la dynastie des Romanov. Mais cette guerre en faisant disparaître l’empire austro-hongrois et en affaiblissant l’Allemagne avait en même temps considérablement endetté l’Angleterre et la France, principalement à l’égard des Etats-Unis. Cela entraîna le transfert de leadership de Londres à Washington mais ne modifia en rien le but initial que s’était fixé l’oligarchie. Le navire amiral de l’entreprise de globalisation du monde n’était plus à Londres mais à Washington, mais il gardait le même cap.

En ce qui concerne la révolution bolchevique d’octobre 1917, s’il est certain que l’Allemagne avait un intérêt évident à la financer pour aboutir au traité de Brest-Litovsk lui permettant de tourner toutes ses forces vers l’Ouest, il est non moins certain que la banque WARBURG finança également cette révolution. De la même façon, une grande partie de l’industrialisation de l’Union soviétique fut réalisée dès les années 1920 avec des capitaux anglo-saxons. Outre l’intérêt, jamais absent, du profit financier que pouvait y trouver l’oligarchie mondiale, se dessinait déjà la volonté de provoquer l’affrontement entre la puissance allemande en voie de renaissance et la puissance russe qui constitue pour les anglo-saxons le dernier obstacle avant le contrôle du heartland.

Parallèlement en Allemagne, mais un peu plus tard lors de l’avènement du nazisme, un certain nombre de faits permettent d’avancer l’hypothèse que plusieurs dirigeants politiques ou financiers anglo-saxons, anglais ou américains, voyaient plutôt d’un bon œil l’installation du national-socialisme à Berlin. Plusieurs raisons pouvaient conduire à cela : « solidarité germanique », volonté de ne pas voir la France trop puissante sur le continent européen, et peut-être, même si cela peut paraître contradictoire avec l’idée de solidarité germanique, le désir de voir s’affronter à nouveau les Allemands et les Russes avec toujours comme idée maîtresse de diviser et d’affaiblir ses adversaires pour mieux les dominer. Cette idée de solidarité germanique explique en partie pourquoi Hitler en mai 1940 n’a pas exploité son avantage contre l’Angleterre dans la course à la mer jusqu’à Dunkerque afin, a-t-il dit plus tard, de ne pas l’humilier et cela explique également pourquoi il envoya quelques mois plus tard son dauphin Rudolf Hess à Londres afin de négocier une paix des braves. Si l’on est un peu curieux et que l’on s’intéresse de plus près aux personnalités anglaises que se proposait de rencontrer Rudolf Hess, on s’aperçoit que toutes étaient membres du fameux Royal Institute of International Affairs. Mais il était trop tard, dans le camp de l’oligarchie qui se propose de dominer le monde, les rivalités ne sont pas rares, et le clan des judéophiles l’avait emporté en 1940 sur celui des germanophiles.

Dans la stratégie des mondialistes tous ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux. Dans cette logique, il est probable que Mikhaïl Gorbatchev a joué le rôle de l’idiot utile pour reprendre une terminologie léniniste. Le démantèlement de l’empire soviétique entre le milieu des années 80 et jusqu’en 1991 n’a pu se faire qu’en étroite coordination entre principaux dirigeants occidentaux (anglo-saxons et allemands notamment) et certains dirigeants soviétiques. Que ce soit la chute du mur de Berlin en novembre 1989 ou la chute de Ceaucescu quelques semaines plus tard, il est évident qu’une concertation est/ouest a été mise en place pour mettre un terme au règne du communisme au crépuscule du XXième siècle et préparer l’avènement de la grande révolution libérale et la mise en place du nouvel ordre mondial. Mais si Gorbatchev a été victime d’un coup d’état avec l’arrivée d’Eltsine au pouvoir en 1991 c’est parce qu’il a compris trop tard qu’il avait été berné par ses « amis » occidentaux et que dans le marché qu’il avait conclu avec eux, la disparition du communisme ne devait pas s’accompagner, dans son esprit du moins, de la disparition de l’Union soviétique et du démembrement de son territoire. L’ayant compris trop tard, Gorbatchev a été évincé et remplacé par un homme qui sous le couvert de donner la liberté aux peuples de l’Union soviétique a été le principal responsable du plus grand recul que la Russie ait connu depuis le temps des troubles. C’est durant le règne d’Eltsine qu’outre la perte des territoires péniblement acquis depuis des siècles que la Russie fut bradée, pillée et vendue comme un pays qui aurait été vaincu.

Mais c’est toujours lors des plus grands désastres que la Russie montre ce qu’elle a de meilleur. De mes nombreuses rencontres avec la Russie, j’ai acquis la conviction que tout s’était passé comme si tout d’un coup, au sein des élites russes, un petit groupe d’hommes s’était réuni pour mettre un terme à ces années de décadence et de corruption. Avec l’arrivée de Vladimir Poutine, le camp des libéraux a été progressivement éliminé du pouvoir politique et a été cantonné au monde de l’économie, à la condition qu’il respecte la nouvelle règle du jeu, c’est-à-dire qu’il n’empiète pas sur la sphère politique (Khodorkovsky) et surtout qu’il joue la carte russe (nationalisation et/ou économie mixte, intérêt national) et non pas la seule carte de l’oligarchie financière internationale.

Ce retour du politique et du sacré en Russie a été vécu par tous ceux qui aiment ce pays comme une véritable bouffée d’air pur et un véritable espoir de voir peut-être l’entreprise d’asservissement du monde par les mondialistes tenue en échec. Pourtant avec mon regard occidental habitué depuis un demi-siècle à voir dans mon pays et partout en occident, les ravages que provoque la lèpre de l’idéologie marchande, je ne peux que regarder avec tristesse couler le poison des idées occidentales dans la société russe d’aujourd’hui et notamment parmi sa jeunesse. Quand je visite à Moscou le musée de l’Armée rouge et que je vois proposer à la vente un badge montrant ensemble Dimitri Medvedev et Barrack Obama, je me pose la question de savoir si dans les musées de l’armée américaine on présenterait une photo du président américain en exercice avec son homologue russe. Quand je vois des jeunes Russes arborer des casquettes « New-York » ou des maillots d’universités américaines, ou encore écouter de la musique anglo-saxonne, quand je vois ou j’entends en Russie le matraquage publicitaire à la télévision, dans les journaux ou les radios, je ne peux m’empêcher de penser à l’histoire du cheval de Troie. La Russie aura beau remettre l’armée rouge en ordre de bataille, déployer ses satellites et ses missiles balistiques, et même réagir promptement et efficacement devant l’agression anglo-saxonne en Ossétie, si elle continue à laisser agir le virus qu’inocule l’occident à travers tous ses médias, alors elle tiendra cinq ans, dix ans, cinquante ans peut-être et après cela elle s’effacera tout doucement de l’histoire des peuples et des hommes, comme la France qui s’est couchée depuis déjà longtemps et qui s’endort lentement dans le sommeil mortel des peuples qui ne croient plus en leur avenir.

Pourtant malgré cette tristesse, malgré les faiblesses de la société russe contemporaine abîmée par soixante-dix années de marxisme et dix années de turbo-libéralisme, je ne peux m’empêcher de penser quand j’observe la Russie d’aujourd’hui que c’est d’ici et nulle part ailleurs que peut ressurgir un espoir pour tous les peuples libres du monde qui veulent mettre un terme à l’esclavage que leur prépare l’oligarchie anglo-saxonne. Il est difficile d’exprimer rationnellement pourquoi le peuple russe est le mieux armé pour remplir cette mission véritablement sacrée. Peut-être à cause de son exceptionnelle endurance forgée par des siècles de vie dans une nature hostile, peut-être à cause de sa religion qui offre, mieux que le catholicisme aujourd’hui, un rempart contre l’idéologie marchande. Peut-être aussi à cause de son histoire tourmentée et difficile qui lui a enseigné ce que d’autres peuples n’ont pas appris ou ont oublié. Peut-être également grâce au talent de ses joueurs d’échecs, sachant que dans la partie qui se joue actuellement avec l’occident, il n’y aura pas de revanche et encore moins de belle et que si l’occident l’emporte, ce seront plusieurs milliers d’années d’histoire qui disparaîtront avec l’avènement d’une caste de marchands qui constitue très exactement ce que tous les peuples européens depuis les débuts de leur épopée ont toujours considéré de plus vil.

Une autre raison encore qui me fait espérer, bien que celle-ci soit paradoxale, me vient d’un de mes amis qui assistant à une conférence de presse en 2007 avec le Président Poutine a entendu ce dernier répondre en substance à une question posée par un journaliste sur l’orientation idéologique de son régime : « De l’idéologie ? Vous ne croyez pas qu’on en a souffert suffisamment comme ça des idéologies ? » Et je comprends très bien cette réponse qui vient d’un homme pragmatique et totalement désabusé à l’égard des idées qui ont meurtri son pays durant les dernières décennies.

Toutefois, et c’est le dernier point sur lequel je voudrais insister : le monde n’est pas neutre. Tous les peuples sont en concurrence les uns avec les autres depuis que le monde est monde. Le pragmatisme est une arme nécessaire mais insuffisante pour se défendre, surtout face à une vision du monde aussi dévastatrice que l’idéologie prétendument libérale, qui n’est que le masque utilisé par ces oligarques pour avancer leurs pions. Le danger vient du fait qu’il est très difficile d’attaquer les idées « libérales » sauf à passer pour un dangereux maniaque, un défenseur des idées passéistes, voire pour un fanatique partisan des camps de travail (cf. les révolutions colorées qui ont toutes été sans exception, organisées par des agents occidentaux afin d’affaiblir la Russie). La méthode de propagation de ce virus est très simple mais redoutable. Il agit comme un ferment de dissolution des sociétés dans lesquelles il s’introduit sans heurt et il vise à l’atomisation de tous les individus en supprimant toutes les relations organiques existant dans le corps social. Cela se fait de manière insidieuse par des émissions de télévision ou de radio, prétendument objectives et en fait totalement orientées, cela se fait par la publicité qui développe l’idée du consommateur-roi. Cela se fait par la musique débilitante, par le cinéma hollywoodien, par les prétendues Organisations Non Gouvernementales et leur prétendu « contrôle démocratique », par l’attribution du statut de « patrimoine mondial de l’humanité » à des sites remarquables comme celui de Souzdal, par des conférences sur le réchauffement climatique ou sur la culpabilité soviétique durant l’ère stalinienne, par des prêches de pasteurs protestants sur le salut individuel, par la présence des témoins de Jéhovah ou des Mormons, par des universitaires étrangers ou par des crétins qui répandent la doctrine de Hare Krishna sur Arbat et par tous les moyens qui permettront de répandre la folie et la polysémie ce qui entraînera la perte de sens et la perte des repères traditionnels.

Ces dernières années le Système a multiplié les tests à l’échelle planétaire pour accélérer le processus de domination de la planète. Sans entrer dans le détail, observons simplement qu’aujourd’hui Internet et le téléphone portable sont des armes qu’il utilise pour des opérations de subversion. Nous l’avons vu récemment au Liban et en Iran où des techniques de désinformation et de manipulation des foules par ces médias ont été utilisées par les Américains et les Israéliens, probablement en étroite coordination. La crise financière, probablement provoquée délibérément afin de créer les conditions favorables à un état de panique à l’échelle mondiale servira de toile de fond à d’autres opérations subversives qui sont déjà en préparation (pseudo réchauffement climatique, virus H1N1…) et qui seront peut-être utilisées comme rideau de fumée pendant des opérations militaires, éventuellement nucléaires, contre un pays comme l’Iran par exemple.

L’arme principale qu’utilise le virus occidental est le concept de l’idéologie des droits de l’homme. Cette toxine, véritable arme de destruction massive est le principal vecteur utilisé par le Système pour tuer les peuples. La seule façon de résister à ce virus est d’affirmer la prééminence du droit des peuples sur les droits de l’homme. C’est au nom de la défense du peuple et de la culture russes qu’un gouvernement peut légitimement interdire aux ONG de M. Soros ou de Mme Albright de remplir leur mission de destruction.

Dans cet esprit la création des « Nashy » est une initiative heureuse pour contrer une éventuelle tentative de révolution colorée en Russie mais la tâche à accomplir ne doit pas être seulement défensive. Pour contrer la désinformation occidentale, il faut dénoncer le libéralisme pour ce qu’il est intrinsèquement, c’est-à-dire une arme mortelle de destruction des âmes. La société russe doit s’orienter résolument vers un recours, et non pas un retour, à la Tradition, afin de puiser dans son riche passé, dans ses traditions religieuses et culturelles, la matière et les idées nécessaires à l’édification d’une société exemplaire et attractive où le rôle des marchands et des financiers soit strictement subordonné au politique et au sacré. Cela implique de briser impitoyablement toutes les idoles de la société marchande et de rompre avec le mythe d’une société de consommation irénique. Cela ne signifie pas un retour à une économie de pénurie. Une société traditionnelle et organique peut parfaitement vivre et se développer dans une relative abondance mais il est du devoir absolu du politique et du religieux de montrer aux hommes qu’il existe une autre voie pour le bonheur que la consommation effrénée et incessante de biens de consommation.

Encore une fois, le peuple russe, dernier peuple blanc échappant encore à la domination anglo-saxonne, doit trouver en lui les forces nécessaires pour proposer au monde cette alternative à la pensée occidentale totalitaire.

C’est en lui que réside le dernier espoir d’aider les peuples européens à échapper à l’emprise du Système. Peu de gens savent que sont déjà en place les mécanismes juridiques pour qu’en 2015 l’Europe occidentale soit rattachée politiquement et administrativement au continent américain. Cet abandon complet de souveraineté, cette subordination totale de l’Europe aux intérêts anglo-saxons n’est que le fruit du travail mené activement par les oligarques de Washington et de Wall Street depuis des décennies et plus spécialement depuis 1945. Ce que les élites russes doivent bien comprendre, c’est que ce désir de se soumettre à la volonté de l’Empire américain n’est partagé en Europe occidentale que par une petite poignée de dirigeants économiques et politiques, formés dans les universités américaines et qui sont devenus de véritables agents du Système. L’immense majorité des gens en Europe est complètement ignorante de ce qui se passe et tant que la société de consommation sera capable de satisfaire le ventre et le bas-ventre des populations aucune contestation sérieuse ne verra le jour. En revanche, la situation de crise économique profonde dans laquelle nous sommes plongés et qui va probablement s’accentuer dans les prochains mois, sera une occasion unique de remettre en cause la légitimité politique du Système occidental afin de tenter de sortir de l’emprise mortelle de l’hégémonie anglo-saxonne. Mais cela ne pourra se faire sans une aide extérieure. Puisse la Russie entendre cet appel. Il en va de l’intérêt du monde et du sien en particulier.



E. Leroy

Moscou, le 27 août 2009

mardi 29 novembre 2011

Les journées du livre orthodoxe en France

L'inquiétude des Coptes

A Alexandrie, deuxième ville d'Egypte et bastion des Frères musulmans, les Coptes votaient lundi sur fond d'inquiétude pour l'avenir de leur communauté chrétienne, la plus grande du Moyen-Orient avec 8 millions de fidèles.
Sami travaille dans l'église Saint-Georges à Sidi Bechr, un quartier où vivent musulmans et chrétiens. Sur les murs s'étalent les affiches des Frères musulmans, mais aussi des salafistes, des musulmans fondamentalistes.
"Sous Moubarak, tous les partis islamistes étaient interdits. Maintenant, ils sont libres. Ici, les gens s'inquiètent vraiment que ces partis islamistes gagnent les élections. Pas seulement le parti al-Nour (salafiste) mais aussi les Frères musulmans", dit cet homme de 35 ans.
Les chrétiens d'Egypte, qui se disaient déjà discriminés et cibles d'attaques, redoutent l'adoption de lois plus restrictives sous l'influence des islamistes et l'impact que cela aurait en particulier sur les droits des femmes.
"Je rejette les politiques des partis islamistes. Et toute la communauté copte fait comme moi. Ils (les islamistes) n'aiment qu'eux-mêmes et veulent contrôler le pays", renchérit Ayman, 44 ans.
"Ils ne veulent pas progresser, mais régresser. Ils refusent le tourisme, la musique et voudraient qu'on enseigne l'histoire de l'Arabie saoudite", assure-t-il.
Dans cette ville côtière du nord de l'Egypte, les Frères musulmans, qui participent pour la première fois à un scrutin sous l'étiquette d'un parti, "Liberté et Justice", paraissent promis à un bon score lors des premières élections législatives depuis la chute de Hosni Moubarak sous la pression populaire en février.
"Liberté et Justice" compte 100 Coptes parmi ses membres fondateurs et a élu en mai un vice-président chrétien, mais cela n'a pas suffi à dissiper les craintes à Alexandrie, où un attentat-suicide a tué une vingtaine de fidèles dans une église durant la nuit du nouvel an.
Sobhi Saleh, un responsable des Frères musulmans, se veut rassurant. "L'islam soutiendra les non-musulmans de ce pays et leur garantira leurs droits", promet-il.
Pour lui, l'essentiel est aujourd'hui de tourner la page de la fraude électorale et des violences qui entachaient les élections sous l'ancien régime, pour ne pas réveiller les tensions confessionnelles.
Après avoir plusieurs fois surveillé et participé aux élections, il est une nouvelle fois candidat pour ce scrutin crucial pour la transition politique.
"L'année dernière, j'ai surveillé les élections à Abis. Un candidat de l'ancien régime était là. Ses partisans m'ont attaqué et ont essayé de me tuer parce que j'insistais pour observer le processus électoral", se rappelle-t-il.
Pour Islam, étudiant en ingénierie de 20 ans, c'est ce type d'expérience qui donne aux Frères musulmans une véritable influence dans le pays.
"Ils sont populaires parce que pendant l'ère Moubarak, ils étaient les seuls à s'opposer à lui et ils en ont souffert. Ils ont eu beaucoup de courage", explique-t-il.
Amine, un médecin musulman de 55 ans, a voté pour un parti libéral mais il assure ne pas avoir peur des Frères musulmans.
"Ils ne m'inquiètent pas. S'ils gagnent, ils vont devoir vraiment changer leurs principes en se frottant à la réalité", déclare-t-il à la sortie d'un bureau de vote dans le quartier al-Raml, sur le front de mer.
AFP cité par El Watan

Méditation pour l'Avent

Méditation pour l'Avent

Je commence avec ce texte les méditations quotidiennes pour le temps de l'Avent que j'ai l'intention de vous offrir cette année. Nous passerons le reste de la semaine avec le prophète Isaïe.
« Là où croît le danger croit aussi ce qui sauve ». Ce vers de Hölderlin, souvent cité par Heidegger, est comme une définition de l’espérance surnaturelle. Il me semble que l’Evangile du Premier dimanche explique parfaitement cela. « Les Puissances des cieux seront ébranlées » avertit Notre Seigneur. « Les hommes sècheront de frayeur ». Et à ce moment là que faut-il faire ? « Levez-vous ! Redressez la tête, car elle approche votre délivrance ».

Nous sommes si souvent prisonniers de nos peurs et nous ne savons pas scruter l’envers du miroir. Nous sommes si souvent prisonniers de nos désirs et nous ne savons pas voir la vérité, telle qu’elle se donne, dans le cours de l’événement. Je reviens toujours à cette formule de Péguy : « Les événements, dit Dieu, c’est moi, c’est moi qui vous aime ». Nous ne tirons pas de leçons de nos échecs, de notre myopie. La parabole tirée du figuier ne semble pas pour nous. Nous ne savons pas qu’en faire. Nous sommes trop souvent prisonnier de l’instant, sans recul, sans projet, sans vision. Et si nous faisons des calculs, ce sont de ces calculs matériels, qui nous rendent – du moins nous le croyons – parfaitement autosuffisants. Terriblement suffisants en réalité et prêts à tous les esclavages, parce qu’ « il faut bien vivre ».

L’Avent, commencement de l’année liturgique, est le temps où nous pouvons et où nous devons prendre de la distance, faire notre examen de conscience, comprendre notre vie, voir ce qui ne va pas, ce qui peut être amélioré et cesser de vivre le nez sur le guidon sans jamais se remettre en question. Levez vous ! Redressez la tête ! Car elle approche votre délivrance.

Dans une vie, nous faisons très peu de choix : le choix de notre foi, de notre compagne, telle ou telle embranchement professionnel ou familial. Il faut qu’en prenant de la distance, nous apprenions à faire ces choix (ça c’est la phase 1) et à aimer les choix que nous avons fait (phase 2), à les confirmer, à les raffermir, à en être fiers, à les pénétrer de la charité du Seigneur, qui est bien la forme de toutes nos vertus. Vis-à-vis de ces choix essentiels, ne tolérons jamais de notre part aucune distance, aucun recul, car nous y avons engagé toute notre vie et notre liberté. Vis-à-vis du reste, en revanche, les petites choses de la vie qui polarisent indûment notre attention, il faut que nous soyons capables de dire, comme saint François Xavier : « Qu’est-ce que cela en comparaison avec l’éternité ? ». Les passionnés sont passionnés de tout. Les blasés, eux, sont revenus de tout. Le chrétien fait des choix et s’y tient. Pour le reste, il demeure à distance.

Cette distance n’est pas de la froideur si l’on sait aussi s’ancrer dans nos choix. J’aime beaucoup ce symbole de l’ancre, que les Premiers chrétiens dessinaient dans les catacombes. Le Christ – vrai Dieu et vrai homme, pont entre le fini et l’Infini – est l’ancre de notre espérance. J’ai dit qu’il fallait aimer et raviver nos choix : c’est la première tâche que nous pouvons nous donner en ce début d'Avent.

lundi 28 novembre 2011

Photo interessante

Imaginez la réaction de nos enseignants si on leur demandait d'emmener leurs élèves dans une église, afin de les initier aux fondements du christianisme, base spirituelle de leur civilisation?

 
Les petites filles apprennent, docilement, les gestes de soumission à leurs futurs maîtres !!!!!:
 
mosquée La Roche 1.jpg

Louis Dalmas de BI



LA CRISE : CE QUE PERSONNE NE DIT

Si nous pouvions jeter le regard d’un extra-terrestre sur notre civilisation occidentale, nous verrions émerger deux grandes “poussées expansionnistes” qui semblent refléter le duel séculaire entre la matière et l’esprit. Bien sûr il s’agit d’un schéma qui simplifie grossièrement la réalité, mais il a le mérite de clarifier un peu le “nouveau désordre mondial”.
La matière est représentée par l’économie et tout ce qui s’y rattache, l’esprit par la religion et tout ce qui en dépend. Les deux sont imbriqués l’un dans l’autre. L’économie se gère d’après des doctrines, et la religion s’incarne dans des structures tangibles. Mais les deux espaces existent, et dans chacun d’eux, un élément joue aujourd’hui un rôle moteur : dans le domaine de l’économie, celui de la matière, la force dominante est l’Amérique impérialiste ; dans le domaine de la religion, celui de l’esprit, la force dominante est l’islam totalitaire.
Ce qui est nouveau, dans notre histoire, c’est le pouvoir de nuisance des deux parties, et le fait que ce pouvoir se donne d’une part pour vocation de régir la planète, d’autre part a recours à la violence pour s’imposer.
A partir de cette vision en gros plan, il faut faire l’effort de nuancer, sans préjugés. C’est-à-dire de distinguer ce qui est positif et négatif de chaque côté.
Le positif des Etats-Unis est la grandeur d’une nation qui suscite admiration et reconnaissance. Admiration pour ses réussites dans les domaines les plus divers de l’activité humaine où elle est à la pointe de toutes les avancées, reconnaissance pour ses interventions dans deux guerres mondiales. Le négatif est la politique d’hégémonie de ses dirigeants, inspirée par une morale de pacotille et un évangélisme de démocratie, qui cherche à asservir le monde à ses seuls intérêts par tous les moyens, même les plus cyniques et les plus dangereux.
Le positif islamique est sa morale de justice sociale, de combat contre la corruption, d’entraide et de solidarité avec les défavorisés. Le négatif est son dogme de déterminisme absolu de la volonté divine qui induit à la notion de fatalité, de fusion du spirituel et du temporel dans la conception de l’Etat religieux, d’élimination des infidèles, de guerre sainte comme expression du devoir individuel, de loi intangible aux sanctions disproportionnées (la Charia) et de réduction de la femme à l’état de bibelot masculin.
L’imbrication de ces aspects positifs et négatifs nous oblige à affiner davantage notre image. En particulier à ne pas confondre les peuples et leurs dirigeants. Il est évident que la majorité des Américains ne sont pas des rapaces capitalistes et que la majorité des musulmans ne sont pas des terroristes. Dénoncer globalement un ensemble de population ou une masse de fidèles est une généralisation inacceptable, qui porte en elle les fléaux du racisme et de la guerre, et qui est aussi stupide que les slogans nauséabonds du genre “les Allemands sont des robots disciplinés, les Arabes sont fainéants, les juifs sont radins, les Polonais sont alcooliques ou les politiciens sont tous pourris”. Les généralisations et les amalgames sont une parodie de pensée et une dégradation de la raison, et les gouvernés n’ont pas à être culpabilisés pour les crimes de leurs gouvernants.

Je voudrais que cette sorte de préambule serve de guide dans notre analyse de la crise qui frappe notre Occident. Il nous conduit à laisser de côté, dans cet exposé, l’envahisseur spirituel musulman, qui joue surtout le rôle d’endoctrineur des révoltés et qui n’est donc pas une cause majeure de la crise, pour nous attacher à la première force, la force matérielle de l’hégémonie impérialiste des Etats-Unis. C’est elle qui est en grande partie responsable de nos difficultés actuelles. C’est elle qui a imposé à l’Occident le système économique néo-libéral, fondé sur une liberté de marché, qui a enfanté un dévastateur cancer financier.
Pour comprendre le mécanisme du système, il faut rappeler quelques éléments d’histoire.
L’argent, à côté du sexe, est un des principaux ressorts de l’activité humaine. Et dans notre système capitaliste occidental, il acquiert une stature proprement divine. Le Dieu argent est l’idole désormais unique de notre société. Or, à travers l’Histoire, ce dieu a changé de visage, à travers l’instrument qui le représente : la monnaie. Il est important d’évoquer l’évolution de la monnaie, car elle est au cœur de la crise actuelle.
La monnaie, facteur de tous les échanges, était au départ matérialisée par un métal précieux, l’or ou l’argent. Peu à peu s’est développé un formidable processus de déréalisation : la monnaie s’est détachée de son fondement matériel. Elle a pris la forme de pièces ou de billets, représentant une certaine quantité du métal précieux, en l’occurrence l’or. Puis ces pièces et ces billets se sont progressivement détachés de leur base physique pour devenir du papier, dont la valeur n’était plus assurée par la possession concrète de l’or. La mutation a franchi une étape importante le 22 juillet 1944 avec les accords de Bretton Woods, qui ont généralisé l’usage de cette monnaie déréalisée, appelée monnaie fiduciaire. A Bretton Woods, les Etats Unis ont fait annuler l’étalonnement de la monnaie sur l’or et ont imposé l’indexation sur le dollar.
Mais l’évolution ne s’est pas achevée avec cette décision. A leur tour, les supports tangibles – pièces et billets – ont disparu pour faire place à des écritures comptables (chèques, comptes en banque, cartes de crédit, etc.). C’est ce qu’on appelle la monnaie scripturale, qui représente aujourd’hui 90 % de la monnaie circulant dans le monde.
On comprend l’importance de cette évolution. La plus grande partie de la monnaie n’est plus de l’argent réel que vous avez dans votre poche, elle est une idée ou une image de l’argent que vous avez dans votre tête. Vous ne possédez plus un bien, vous ne possédez qu’une promesse. Celle de transformer l’image en réalité. Et tout le monde sait qu’une promesse n’a de valeur que par la confiance qu’on a en elle. Si la confiance disparaît, l’édifice imaginaire s’écroule. Et c’est l’introduction de ce facteur confiance qui est le talon d’Achille du système.
Mais pourquoi la confiance disparaîtrait-elle ? Parce que la transformation de l’argent en monnaie virtuelle a engendré un monde de manipulateurs de la virtualité, le monde d’une nouvelle féodalité, celle des seigneurs de la finance, celle des banques. Ce monde détaché de la réalité est un monde élitaire et un monde opaque. Henry Ford, le célèbre industriel automobile, a dit un jour : “Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin.” Il disait vrai, car dans le monde virtuel, non seulement tout se déroule dans le secret des initiés, mais tout devient possible pour ceux qui savent le manipuler. Ceux-là sont aujourd’hui les maîtres de notre Occident. Ils constituent le nouveau pouvoir mondial : le pouvoir des banques. Ce pouvoir comprend la domination sur la société, l’assujettissement des politiciens, la garantie de privilèges exorbitants, les spéculations hasardeuses et les escroqueries.

Comment se manifeste ce pouvoir ? L’assujettissement des politiciens ne repose pas seulement sur la vénalité de certains d’entre eux. Charles Quint disait avec mépris : “Un homme politique incorruptible est seulement un peu plus cher que les autres.” Il avait raison en partie, mais en partie seulement, car là encore, il ne faut pas généraliser. En fait, la pression des banques est beaucoup plus subtile que la corruption directe. Elle s’exerce sur les carrières, la présence dans les médias, les décisions gouvernementales.
Un petit rappel historique du droit de création monétaire va nous montrer à quel point elle est efficace.
Le 23 décembre 1923, le Congrès des Etats-Unis a donné à la FED, la banque centrale américaine, le droit de fabriquer de la monnaie. Décision dramatique, car la FED, qui a l’apparence d’une banque nationale, est en fait une banque privée composée de l’association des banques du pays. C’était priver la nation du droit de créer son propre argent. Le président de l’époque, Woodrow Wilson, de nombreux sénateurs, et l’ancien secrétaire du Trésor, Salmon P. Chase, ont gardé toute leur vie le remords d’avoir laissé passer cette loi. Salmon Chase a écrit : “Ma contribution au passage de la loi sur les banques nationales fut la plus grande erreur financière de ma vie. Cette loi a établi un monopole qui affecte chaque intérêt du pays. Cette loi doit être révoquée, mais avant que cela puisse être accompli, le peuple devra se ranger d’un côté, les banques de l’autre, dans une lutte telle que nous n’en avons jamais vue dans ce pays.”
En 1963, le président Kennedy essaiera de s’affranchir de la tutelle bancaire en exigeant l’impression d’une monnaie fédérale. Il sera assassiné juste avant que les nouveaux billets ne soient mis en circulation et ces derniers seront détruits juste après sa mort.
Après Bretton Woods, le dollar n’était plus étalonné sur l’or, mais il pouvait être échangé contre de l’or, comme c’était inscrit sur chaque billet. Le 15 août 1971, le président Nixon a mis fin à cette convertibilité. A partir de là, “les banques américaines pourront fabriquer autant de dollars qu’elles le voudront. Et pour que le monde ait besoin de dollars, il suffira de développer les échanges entre tous les pays.” C’était le début de la mondialisation.
En France, la date fatidique dont on ne parle jamais, est le 3 janvier 1973. Jusqu’alors l’Etat pouvait emprunter à la Banque de France à taux zéro, c’est-à-dire sans payer d’intérêt. Une situation normale, puisque la Banque de France était la France. Ce jour-là, le président Pompidou, un ancien responsable de la banque Rothschild, a fait adopter à l’Assemblée – dont les députés étaient sans doute encore engourdis par les fêtes de fin d’année – la décision catastrophique d’interdire à la France de créer sa propre monnaie, ce qui l’obligeait à emprunter aux financiers et aux banques privées. Si l’on calcule le cumul des intérêts des emprunts que la France a du payer au marché privé depuis ce jour malheureux, on arrive à un total de 1.500 milliards d’euros, une somme correspondant à notre dette nationale. Autrement dit, sans cette loi honteuse, la France ne serait pratiquement pas endettée aujourd’hui.
Passons sur le scandale des crédits immobiliers, les titres hypothécaires pourris, le racket des subprimes, le garrottage de la Grèce par les vautours de Wall Street, les spéculations insensées. Ces symptômes ravageurs du cancer financier qui a fait exploser le système, ont inondé tous nos journaux. Contentons-nous d’évoquer une des escroqueries qui est à la base du pouvoir des banques : la possibilité de fabriquer de l’argent ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien.
Le mécanisme est simple. Vous négociez un prêt avec votre banque pour acheter une voiture ou un appartement. Il suffit au banquier de taper la somme sur son ordinateur. Vous lui remboursez la somme au bout d’un certain nombre de mensualités et la dette est électroniquement effacée. Mais ce qui n’est pas effacé, et qui est réellement encaissé par la banque, ce sont les intérêts que vous lui avez payés. Ca, c’est de l’argent frais, nouveau, fabriqué de toutes pièces. Reportez le processus à l’échelle mondiale, et vous aurez une idée de l’enrichissement de votre brave banquier.
Maurice Allais, prix Nobel de science économique en 1988, disait crûment : “Par essence, la création monétaire ex nihilo que pratiquent les banques est semblable – je n’hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici – à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement réprimée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents.”

Notre tableau du pouvoir des banques serait incomplet sans un mot sur les moyens dont il dispose.
Ils sont ahurissants. Grâce aux robots modernes, des transactions boursières de milliards se font en quelques secondes. Avec parfois des ratés, qui ne font que souligner leur puissance. Un de ces ratés mérite d’être raconté, car il illustre à la fois la force et la faiblesse de ces moyens. Le récit, repris par le Canard enchaîné, figure dans un rapport de 140 pages de la SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse US), publié le 30 septembre 2010.
Le 8 mai, à 14 h 32, l’automate qui gère un des fonds de Waddell & Reed, un gestionnaire d’actifs établi au fond du Kansas, décide d’acheter un paquet d’actions. Pour se “couvrir”, le robot est programmé pour vendre simultanément d’autres titres. Pas de chance, ce jour-là, on est en pleine crise grecque, avec menaces sur l’euro. Le cours des titres largués par la machine baisse très rapidement. Flairant la bonne affaire, des centaines d’autres robots américains se mettent à acheter, en quelques dixièmes de seconde, les valeurs bradées. Mais quelques microsecondes plus tard, les mêmes robots constatent que les cours continuent à chuter. Affolés, ils revendent pour réduire leurs pertes. En 14 secondes, note le rapport, les titres ont changé 27.000 fois de mains. Trompé par cette activité factice, l’ordinateur de Waddell & Reed continue à vendre à tour de bras pour respecter la consigne gravée dans son disque dur. Il écoule en quelques minutes pour 4 milliards de dollars de titres. A 14 h 45, le mouvement gagne les marchés financiers classiques de Wall Street. Les ordinateurs sont programmés pour vendre à partir d’un seuil prédéfini. La barre étant franchie, ils ouvrent les vannes alors que personne, en face, ne veut acheter. La contagion gagne, et les machines bradent massivement. Des dizaines de titres sont touchés, certains perdant 60 % de leur valeur. En un quart d’heure, près de 2 milliards d’actions sont échangées dans un chaos complet. L’indice de la Bourse de New York s’effondre de 10 %.
Peu après 15 heures, les humains finissent par reprendre le contrôle de leurs machines. A 16 heures, après la fermeture de la Bourse, les autorités et les opérateurs décident d’un commun accord d’annuler toutes les transactions passées entre 14 h 40 et 15 heures.
Deux leçons sont à tirer de cette édifiante histoire. D’abord que dans le monde virtuel, une technologie redoutable permet de réaliser des fortunes ou de semer la ruine en quelques fractions de secondes. Ensuite que les maîtres de la bulle financière peuvent à leur gré annuler les transactions qui les gênent en risquant de leur faire perdre de l’argent. Les banques et leurs affidés jouissent de droits divins avec des moyens infernaux de les appliquer.

Dans ce monde de fiction criminelle, la haute finance domine la politique de trois façons.
D’abord par la stratégie impériale des Etats-Unis. Le candidat républicain aux prochaines élections présidentielles américaines, qui est en tête des sondages pour son parti, Mitt Romney, vient de déclarer en toute simplicité : “L’Amérique doit diriger le monde“. Cette stratégie impériale est fondée sur un système de capitalisme sauvage, d’anarchie libérale, dont les deux principes sont “ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour la planète” et, pour imposer ce concept, “faire la paix si l’on peut, faire la guerre si l’on doit”.
Cette stratégie se traduit par l’élimination de toute résistance nationale par tous les moyens. Cela comprend, par ordre croissant de violence, la pression diplomatique, les campagnes de diabolisation, les sanctions internationales, l’espionnage humanitaire, l’infiltration subversive, le financement des oppositions et l’agression militaire.
C’est ainsi qu’on a démantelé la Yougoslavie, ravagé l’Irak, semé le chaos en Afghanistan, annexé la Côte d’Ivoire et détruit la Libye. C’est ainsi que sont maintenus en tutelle, par les fictions de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne, les Etats de notre continent. C’est ainsi que sont menacés l’Ukraine, la Bielorussie, la Syrie, l’Iran, le Vénézuéla, la Bolivie, l’Equateur et tous les Etats dont les chefs manifesteraient des velléités d’indépendance, à l’exception des deux morceaux trop gros pour être avalés, la Russie et la Chine. Tous les moyens que je viens d’énumérer ont été ou sont employés pour discréditer et venir à bout des indociles. Les armes utilisées sont certaines ONG (les Organisations non gouvernementales à buts soi-disant charitables), les innombrables organismes et instituts prétendument destinés à répandre la démocratie, et en fin de compte l’écraseur militaire qui s’appelle l’OTAN, O, T, A, N, l’Organisation Tyrannique d’Anéantissement des Nations. Les moindres réticences sont rongées de l’intérieur par la déstabilisation avant d’être volatilisées par des bombardements.

Cette stratégie impériale, pour pouvoir se développer en toute impunité, a besoin de l’appui du public. C’est là qu’intervient le second paragraphe de sa domination : le conditionnement de l’opinion par le contrôle des médias.
Pourquoi ce conditionnement est-il nécessaire ? Parce que le pouvoir des banques qui inspire cette stratégie, et dont nous avons déjà vu le fonctionnement opaque, ne peut pas en avouer les buts réels, qui sont la protection du dollar, la conquête des sources d’énergie, la multiplication des profits et la soumission du plus grand nombre d’Etats possible. Le néocolonialisme doit être occulté par un rideau de bienfaisance, la rapacité impériale doit être présentée comme une croisade de moralité. Comme les conquistadors de jadis qui maquillaient leurs invasions en rédemption des sauvages, les nouveaux missionnaires doivent dissimuler le bénéfice derrière le bénéfique, en faisant avaler aux masses qu’ils combattent pour le bien contre le mal. Cette immense duperie est le rôle dévolu aux médias dont les slogans de “bataille contre le terrorisme”, de “droit d’ingérence” et de “protection des populations civiles” sont le vernis sucré de la plus formidable entreprise d’hypnotisme collectif et de tromperie que le monde ait jamais connu.

Puisque nous parlons des médias, permettez-moi un petit intermède à ce point de mon exposé.
Vous savez tous que le nom familier d’un journal, c’est le “canard“. Or il ne vient pas du brave palmipède que vous appréciez dans votre assiette, mais d’une expression du vieux français, “bailler un canard“, qui signifiait raconter un mensonge ou faire une promesse impossible à tenir. En 1690, on lit dans le dictionnaire de Furetière : “On dit proverbialement donner des canards à quelqu’un pour dire luy en faire accroire, ne luy pas tenir ce qu’on avait promis, tromper son attente“. En 1845, Gérard de Nerval, dans son “Histoire véridique du canard“, écrit : “Le canard est une nouvelle quelquefois vraie, toujours exagérée, souvent fausse. (…) C’est un désastre, un phénomène, une aventure extraordinaire : on paie cinq centimes et on est volé.“ En 1870, Mérimée, dans une lettre à la comtesse de Montijo, assimile le canard à un ragot déformant la vérité, et Balzac, à son tour, fait dire à Hector, dans “Les illusions perdues” : “Nous appelons un canard un fait qui a l‘air d’être vrai, mais qu’on invente pour relever les faits quand ils sont pâles.“ “Canard“ a donne “canardier“, qui désignait le crieur de journaux, mais aussi le fabricant de fausses nouvelles. Ca n’a pas changé de nos jours. J’ai un ami qui me disait récemment : “mon quotidien ne me sert plus qu’à écraser une mouche ou envelopper le poisson“.
Pourquoi cette parenthèse ? Pas pour dire du mal de mes confrères qui bravent souvent de grands dangers pour exercer leur métier et dont beaucoup rapportent honnêtement ce dont ils sont témoins. Mais pour souligner qu’une veine de désinformation court depuis longtemps dans le rocher du journalisme, pas à la base sur le terrain, mais au sommet, dans les étages de la direction. C’est à ce niveau supérieur que se nouent les complicités, que se décident les positions à prendre, que se définissent les tabous dont on ne parle pas, que s’organisent les campagnes, que se fabrique l’endormissement du public.
Ce n’est pas par hasard que le mot “canard“ évoque une tradition de mensonge. Un mensonge multiforme, qui va du simple choix des sujets à la falsification des faits. Au bas de l’échelle, à part les “scoops” de Voici et les “buzz” des ragots mondains, il existe toujours un journalisme d‘investigation. Mais il se limite en général aux petits scandales personnels que laisse filtrer tel ou tel personnage connu désirant couler un concurrent. Ou à des affaires montées en épingle pour pimenter la saga des “people”, et que le pouvoir finit par étouffer. Ce remue-ménage à courte portée fait croire à une liberté d’expression, et donne bonne conscience à mes confrères. Ils s’imaginent faire preuve de courage en “révélant” une malversation ou une indélicatesse, mais en fait ils remuent une merde ponctuelle qui ne remonte pas plus haut que les doigts de pied. C’est beaucoup plus haut, et plus largement, au niveau des affaires internationales, que s’étale la grande trahison de la vérité. C’est là que le mensonge prend toute sa force, car plus que bousculer une vedette de l’actualité, il dupe des peuples entiers.

Là, la tradition est forte, pour une raison fondamentale : la plupart de nos grands médias ne sont pas indépendants.
A trois égards.
D’abord, à la différence de leurs confrères anglo-saxons, ils font très mal la différence entre le news et les views, c’est-à-dire entre les faits et les opinions, entre le reportage et l’éditorial, entre le compte rendu et le commentaire, entre le journalisme et la politique. Et quand on ne sort pas de ce mélange, l’intérêt de la nouvelle cède forcément le pas aux intérêts des dirigeants. Bon gré mal gré, l’information est biaisée, elle s’imprègne de propagande. La pensée dominante, orientée dans le sens des maîtres, s’impose aux dépens de la réalité.
Ensuite, la vie même de nos grands médias dépend de la publicité. Les responsables ont beau dire que les annonceurs n’influent pas sur leurs rédactions, ils font partie de l’espace de richesse dirigé par les banques, et ils tiennent les cordons de la bourse. Leur soutien est forcément conditionné par certains tabous, ou pour le moins par certaines orientations. Et sans aller jusqu’à évoquer de grandes signatures qui ne sont pas à l’abri de sollicitations rémunérées, il faut tenir compte de la masse de matériel fourni par les directeurs de communication, les agences de relations publiques et les attachés de presse. Une situation malsaine qui infléchit forcément le contenu des médias et ne contribue pas à l’impartialité de leur information.
Enfin, le corpus de la pensée “officielle” pèse aussi lourdement sur ce contenu. De deux façons : par l’autocensure et le mimétisme. L’autocensure est la convention tacite de ne pas parler de certaines choses pour ne pas choquer, perturber ou offenser des catégories de spectateurs ou de lecteurs. L’extrême prudence en ce qui concerne tout ce qui touche à la religion ou aux origines ethniques en est une illustration. Le mimétisme est la surenchère dans le traitement d’un même sujet, qui donne lieu à d’extraordinaires campagnes où tous les médias disent la même chose en même temps, pratiquement sans vérifier les sources et sans tenir compte des contradictions ou des démentis.

La combinaison de ces deux éléments de la “pensée unique” – autocensure et mimétisme – a conduit à une déformation extraordinaire d’événements et de faits au cours des dernières années. Voici quelques exemples de ce dont nos médias ont parlé de travers ou dont ils n’ont pas parlé du tout
Le dénigrement de l’ex-Yougoslavie prétendument dirigée par un dictateur fauteur de guerre, assoiffé de Grande Serbie et auteur de nettoyages ethniques, alors que Milosevic n’a jamais attaqué personne, et n’a cessé d’accepter toutes les propositions de paix, de dénoncer chez lui les partisans de la Grande Serbie et de vanter les avantages de sa société pluraliste et multiethnique. Résultat : un honteux bombardement qui a causé d’irréparables dégâts.
L’agression de l’Irak sous le prétexte d’y neutraliser des armes de destruction massive que Saddam Hussein n’a jamais possédées ou qu’il ne possédait plus, et qui a conduit à l’écrasement pour des motifs principalement pétroliers d’un grand Etat laïque, efficace bastion de résistance à l’intégrisme musulman.
L’utilisation dans les guerres impériales de bombes à fragmentation ou de munitions à l’uranium appauvri qui ont fait de milliers de victimes civiles et pollué des régions entières pour des décennies.
La reconnaissance du plus puissant centre de crime organisé d’Europe par la création d’un Etat mafieux au Kosovo, dont les dirigeants actuels ont été directement ou indirectement impliqués dans un atroce trafic d’organes humains.
La participation de la France à une guerre totalement inutile en Afghanistan qui n’a eu pour effet que le renforcement de l’adversaire taliban qu’il s’agissait soi-disant de combattre, et qui aboutit, comme en Irak, à un humiliant retrait des envahisseurs étrangers.
Les mythes d’une Tchétchénie glorieusement résistante à l’oppression russe ou d’un Tibet innocente victime de l’invasion chinoise, alors qu’il s’agissait dans le premier cas d’une région sécessionniste sauvagement opposée à la modernité et dans le second d’une féodalité religieuse rétrograde corsetant son peuple.
La farce du renversement ivoirien d’un Gbagbo trop soucieux de son indépendance nationale, écrasé par les forces françaises, et son remplacement préparé d’avance par Ouattara, un pion occidental aux ordres des grandes multinationales, dont le coup d’Etat s’accompagne de règlements de comptes sanglants.
Le déclenchement d’une agression – une fois de plus très pétrolière – contre un remarquable rénovateur de la Libye, et son sauvage assassinat après le massacre de milliers de civils par un féroce bombardement, sous le prétexte de soutenir une soi-disant rébellion fomentée de l’étranger, dont les chefs, présentés comme apôtres de la démocratie, sont des militants religieux ou monarchistes, et pour certains, des affidés d’Al Qaeda.
La dévotion à une Europe chimérique dont un prétendu gouvernement fédéral plaqué sur les peuples comme une croûte postiche, achèvera de prouver l’irréalité.
La dénonciation de chefs d’Etat réformateurs comme Poutine en Russie, ou Castro, Chavez et Morales en Amérique latine, et leur qualification de dictateurs, parce qu’ils défendent la souveraineté de leur pays face à l’impérialisme américain, et veulent faire profiter leurs peuples de leurs richesses nationales en mettant en œuvre des progrès sociaux.
La béatification du guignol Bernard-Henri Lévy, modèle d’aberration en matière de politique étrangère, qui, après avoir été le chantre de toutes les aventures militaires impériales, en radotant ses slogans droitsdel’hommistes, a déclaré la guerre à Kadhafi à la place de Sarkozy et ridiculisé au passage le constipé Juppé.
Le silence total sur les brillants succès de la stratégie occidentale qui, en à peine un peu plus d’une décennie, a fabriqué à coups de guerres, de bombardements, de soutiens financiers et d’assassinats, six nouveaux Etats musulmans : la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, l’Irak, la Tunisie et la Libye, avec un septième en vue, l’Egypte. Un palmarès qui fait la joie dans les mosquées.
J’en passe et des meilleures, il y en aurait trop à énumérer. Mais déjà résumé de cette façon, le bilan est tragique.
On dit que le journalisme est le premier jet de l’Histoire. Si l’Histoire s’inspire de nos médias, elle risque d’être aussi crédible que le compte rendu d’un marathon gagné par un cul de jatte. La politisation des rédactions, l’inféodation aux publicitaires, l’autocensure, le silence imposé aux dissidents et le mimétisme ont rongé notre métier au point que bien des gens ne croient plus à son authenticité. Ils ont raison, car le résultat objectif est que la tradition de mensonge se perpétue. Elle remonte loin. Les latins parlaient déjà de son double aspect : suggestio falsi (affirmation du faux) et suppressio veri (étouffement du vrai). La différence entre un écrivain et un journaliste est que le premier transforme la réalité en fiction, alors que le second transforme la fiction en réalité. Le journaliste irlandais Cockburn avait une formule qu’il aimait bien répéter ; “Ne croyez aucune information avant qu’elle ne soit officiellement démentie” .
Laissons le dernier mot à Jean Yanne, qui incarnait souvent avec justesse le bon sens populaire. Il disait en rigolant : “Je ne mens jamais, sauf quand je lis le journal à haute voix”.
Je vous ai parlé de trois éléments de la domination bancaire sur notre société. Nous en avons évoqué deux : la stratégie impériale et le contrôle des médias. Le troisième atout dans la main de nos maîtres est la faiblesse de l’opposition. Elle se manifeste dans quatre domaines où, à partir de ce qu’elle propose ou ne propose pas, je voudrais esquisser ce qu’elle pourrait proposer.
Il s’agit des banques, des impôts, de la guerre et de la dette.
Inutile de préciser que je ne vais pas me lancer dans une analyse économique d’ensemble : nous y passerions toute la nuit et de toute façon je ne suis pas compétent pour le faire. Je voudrais simplement, sur chacun de ces points, vous soumettre quelques observations qui, à mon sens, devraient inspirer ceux qui veulent remplacer le gouvernement actuel ou tout simplement agir pour le bien de la société.

En ce qui concerne les banques, la crise actuelle a prouvé à quel point leur pouvoir était indéracinable. Elles ont réussi à imprégner les gouvernements de la terreur de les voir s’effondrer, au point qu’ont été trouvés d’un coup de baguette magique des centaines de milliards pour les renflouer. Des milliards dont une fraction aurait suffi à éradiquer la famine dans une grande partie du monde, et qui étaient refusés aux réformes sociales. Et dont la recherche éperdue à répétition évoque, à une échelle effrayante, le rocher de Sisyphe, ou en plus grotesque, une bande dessinée célèbre de mon enfance, celle du sapeur Camembert. Ce brave militaire avait reçu l’ordre de boucher un trou, et pour le boucher, en creusait un autre qu’il fallait ensuite boucher avec la terre d’un troisième. Et ainsi de suite. Un emprunt est remboursé par un emprunt à rembourser par un emprunt à rembourser par un emprunt à rembourser. Sinistre enchaînement dont les intérêts ne cessent d’enrichir ceux-là mêmes qui ont creusé le premier trou.
Que propose-t-on pour le rompre ? Notre gauche a finalement déterré, sans la nommer, un loi américaine suscitée par le krach de 1929. Le 16 juin 1933, Franklin Roosevelt a fait adopter la loi Glass-Steagall qui établissait une cloison étanche entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, plafonnait les intérêts perçus sur les dépôts et interdisait d’utiliser l’épargne privée pour des spéculations risquées. Les principes de cette régulation ont été peu à peu érodés à partir de 1980, sous la pression des banques, pour être finalement abrogés en 1999 par la loi Gramm-Leach-Bliley. Une partie de notre gauche s’en réclame, mais au vu des trahisons passées de la social-démocratie, on peut se demander si ses représentants arrivés au pouvoir auront le courage de les appliquer.
En admettant qu’ils le fassent, ce ne serait qu’un premier pas. Le vrai problème est qu’aujourd’hui les banques contrôlent les Etats, et qu’il faut casser ce pouvoir en redonnant aux Etats le contrôle des banques. Cela passe par des mesures beaucoup plus globales qu’une régulation inspirée de la loi Glass-Steagall, comme la réappropriation nationale de tout ce qui a été renfloué, c’est-à-dire carrément des nationalisations, ou le droit rendu à la Banque de France de battre monnaie et de prêter sans intérêt. LLoyd George disait : “On peut tout faire par petits pas mesurés, mais il faut parfois avoir le courage de faire un grand saut ; un abîme ne se franchit pas en deux petits bonds.” Le moment est venu pour la gauche d’entreprendre une offensive sérieuse, ou tout au moins de la revendiquer d’une seule voix, même si l’attaque consiste à violer quelques accords au lieu de chercher désespérément à accorder les violons.

Avec la reprise en main des banques s’imposent une chasse féroce aux dépenses et une totale refonte de la fiscalité. Les Cassandre de la crise se lamentent sur le tarissement des liquidités, l’assèchement des crédits, les défauts de paiements, la banqueroute des Etats. En fait, ils entretiennent au profit du pouvoir bancaire le plus énorme mensonge du siècle. L’argent, il y en a, par centaines de milliards. Il faut simplement le prendre où il est.
D’abord en réduisant son gaspillage. Chaque année, la Cour des Comptes répertorie les sommes jetées par la fenêtre dont les gouvernements ne tiennent jamais compte. Il y a déjà là pas mal d’économies à faire. Mais cette brave Cour des comptes ne parle pas de la plus énorme de ces sommes, de ce torrent d’argent dilapidé dans l’usine à gaz de Bruxelles, cette Europe fictive devenue le fromage à technocrates le plus pharaonique du siècle. Ne parlons pas de la masse de fonctionnaires, de la nuée de bureaucrates, de l’armée de traducteurs, grassement rémunérés aux frais des contribuables, ou des contributions imposées aux Etats pour entretenir l’illusion continentale. Ce qui est grave, c’est qu’en plein baratin d’austérité nécessaire, on en remet une louche dans les largesses. Non seulement une bonne partie du personnel émarge à plus de 10.000 euros par mois, et un certain nombre d’entre eux ont des retraites de 9.000 euros par mois, mais la baronesse Catherine Ashton, qui fait office de ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne, a trouvé le moyen de revaloriser les salaires de ses 1.500 employés pour 7,5 millions supplémentaires.
Avec la réduction des gaspillages, il faudrait bloquer les fuites de l’économie marginale. Ne parlons pas des blanchiments de l’argent de la drogue. Un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUOC) vient d’en établir le montant à environ 1.600 milliards de dollars pour 2009, soit 2,7 % du PIB mondial. A ce sujet, on peut se poser en passant une question : la puissance armée de l’OTAN ne serait-elle pas mieux utilisée dans la chasse aux trafiquants que dans des guerres coloniales ?
N’attendez pas la réponse. Parlons plutôt des fraudes.
Le compte rendu annuel de Tracfin, la cellule gouvernementale du renseignement financier,
les conclusions du député UMP Dominique Tian remises le 29 juin dernier,
et toujours les rapports de la Cour des comptes,
estiment à 20 milliards la fraude sociale (aux prestations sociales, aux prescriptions médicales, à l’assurance chômage, etc.) et à 45 milliards la fraude fiscale. Ce sont déjà des sommes importantes qui font défaut à l’Etat, mais ce sont des broutilles à côté de ce que devrait rapporter une refonte complète de l’échelle des impôts.
Cette refonte devrait tailler à coups de serpe dans la calotte des riches, une calotte qui coiffe la société d’une masse d’argent dont on a peine à imaginer les proportions, et qui appartient à une infime minorité.
En 2010, la totalité de la richesse de notre planète de près de 7 milliards d’habitants était contrôlée par 103.000 personnes. Les 1.000 Britanniques les plus riches détiennent une fortune globale de 452 milliards d’euros. 3.200 milliards de $ s’échangent chaque jour sur le marché des changes (contre 18 milliards dans les années 70). Selon une enquête du Wall Street Journal, les grands leaders de la finance et les traders de la bourse ont obtenu aux USA des rémunérations record de 135 milliards de $ en 2010, une hausse de 5,7 % en un an. Un rapport tout récent, publié le 25 octobre, du Bureau budgétaire du Congrès dit que le 1 % des Américains les plus fortunés ont plus que doublé leur part du revenu national au cours des trois dernières décennies, et après impôts, ont augmenté leurs rentrées d’argent de 278 % entre 1979 et 2007. En France, les salaires et gratifications des patrons du CAC 40, entre autres, atteignent des millions d’euros par an. Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires du 6 octobre 2010, “les niches fiscales et sociales des entreprises représentent un manque à gagner de 172 milliards d’euros par an pour l’Etat.” Elles se sont multipliées au rythme de 12 par an depuis 2002. L’impôt sur les bénéfices des entreprises a été réduit de 7,4 milliards d’euros sur la période 2007-2009.
Nous savons tous que l’inégalité entre les classes sociales a existé de tous temps et que le luxe s’est souvent montré choquant. Mais le phénomène a atteint aujourd’hui une effrayante démesure. En une trentaine d’années, l’écart moyen entre la rémunération du dirigeant et le plus bas salaire de son entreprise a été multiplié par 25. Selon une enquête de l’INSEE publiée fin août sous le titre “Revenus fiscaux et sociaux”, le nombre de Français vivant sous le seuil de pauvreté a franchi la barre des 8.173.000 personnes en 2009, en hausse de 337.000 par rapport à 2008. Cela représente 13,5 % de notre population. A l’autre bout de l’échelle, tout en haut, les riches se multiplient dans des proportions encore plus impressionnantes. Toujours selon l’INSEE, entre 2004 et 2007, le nombre de personnes disposant de plus de 500.000 euros “par unité de consommation” a augmenté de 70 %.
Le luxe s’étale en jets privés, yachts gigantesques, demeures princières, pierres précieuses, garderobes inépuisables et armées de serviteurs, qui ornent le quotidien de la bulle des riches. Un gouffre s’est creusé entre cette bulle et le restant de la société. Ses occupants habitent une autre planète. Une idée de leurs habitudes – et de leurs moyens – est fournie par le marché de l’art. Les transactions dans les grandes salles de vente comme Sotheby ou Christie’s atteignent des chiffres qu’on a peine à imaginer. Les œuvres de certains créateurs se paient des millions de dollars, à des années-lumière de ce que peut s’acheter la masse des citoyens.
A côté de ces fastes, les exigences d’austérité et de rigueur qui étranglent les peuples et les mesures gouvernementales d’économie qui asphyxient les grands services publics, apparaissent non seulement comme des provocations, mais comme des crimes. C’est aux riches qu’il faut prendre l’argent car ils en ont beaucoup. Et qu’on ne nous dise pas que c’est de l’utopie ou du populisme : ponctionner la pellicule fortunée dans l’intérêt de la nation s’est déjà fait dans le plus grand pays capitaliste du monde, les Etats-Unis. En réponse à la crise de l’époque, Roosevelt avait fixé l’impôt sur les plus hauts revenus à 63 % en 1932, à 79 % en 1936 et à 91 % en 1941. Pendant 50 ans, la moyenne est restée à 80 %. On est loin du bouclier fiscal de Sarkozy, des cadeaux à ses amis du Fouquet’s et de la grotesque taxe de 3 % proposée par le gouvernement

Nous en arrivons aux deux derniers points qui sont essentiels.
Le premier me laisse à la fois stupéfait et indigné. Voilà une opposition faite de socialistes qui se disent bâtisseurs d’une société nouvelle et de verts qui veulent sauver l’environnement. Or pas un parti, pas un leader, pas un programme, pas un interviewé ne parle de ce qui est la destruction même de tout ce qu’ils prétendent défendre, la ruine de leurs idéaux, le contraire de leurs buts les plus chers. Pas un mot sur le fléau qui décime les peuples et saccage la nature, le fléau qui devrait les émouvoir au cœur même de leurs convictions, qui devrait attiser leur colère. Ce silence ahurissant mesure la débâcle de cette opposition. Elle ne trouve rien à redire à ce qui devrait l’enflammer avant tout autre objectif : je veux parler de la guerre.
Non seulement cette opposition ne s’oppose pas aux guerres de l’OTAN, aux conquêtes impériales, au néocolonialisme pétrolier et aux ravages des bombardements, mais beaucoup de ses membres les ont soutenus. Ils ont applaudi la honteuse agression de la Yougoslavie, le ravage de l’Irak et de l’Afghanistan. Ils se sont vautrés dans les éloges à Sarkozy pour sa criminelle aventure en Libye.
Ce faisant, ils ne font pas que trahir leurs propres raisons d’être. Fouler aux pieds l’essence même de l’écologie. Ils passent à côté d’une des sources les plus criantes de l’endettement international. Leur appui, ou leur ignorance, de la guerre est non seulement un forfait moral ; c’est une faute politique et économique majeure, qui prouve à la fois leur incompétence et leur lâcheté.
Car la guerre coûte cher. Très cher. Elle engloutit les forces et les budgets. Voici quelques chiffres que je dois à mon confrère Jean-Loup Izambert et que nous avons publiés dans le dernier numéro de notre journal B. I. Pour ne parler que de la Libye, le “Groupe de contact” qui comprenait tous les Etats participant à la campagne criminelle de l'OTAN a fait état en mai 2011 de la création d'un “fonds spécial” pour aider financièrement les putschistes. Dès le début, les sommes virées aux “rebelles” par les Occidentaux et plusieurs pays arabes sont importantes. Et en juillet 2011, le financement des putschistes s’est encore renforcé. Qatar, près de 500 millions d’euros, Italie 400 millions, France 205 millions, Koweit 180 millions, Turquie 70 millions, etc. Ces sommes s’ajoutent à celles déjà versées. Début août 2011, l’aide financière peut être globalement estimée à plusieurs milliards d’euros. Selon François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique, le coût de l’intervention militaire française peut être estimé à au moins 1,4 million d’euros par jour. Récemment, des annonces officielles ont confirmé que le coût des opérations s’élevait à un minimum de 300 millions d’euros, non compris les livraisons d’armes aux putschistes, non compris le soutien financier direct décidé par l’Elysée, non compris l’engagement de troupes au sol au travers de conseillers militaires et de commandos opérant en civil ou en tenue camouflée. Et tout le monde sait que les annonces officielles sont souvent très en deça de la réalité.
Et il n’y a pas que la Libye.
En 2009, le coût des opérations militaires extérieures – OPEX– se montait déjà pour la France à 870 millions d’euros. Une somme à peu près équivalente – 867 millions d’euros – a été engagée l’année suivante pour les mêmes OPEX, dont 387 millions d’euros pour l’Afghanistan. Pour 2011 le budget prévoyait une enveloppe de 630 millions d’euros pour les OPEX. Mais à elle seule l’occupation de l’Afghanistan mobilise plus de 470 millions auxquels il faut ajouter les interventions en Côte d’Ivoire et en Libye. Les sommes engagées par la France pour la guerre sont croissantes. De 2003 à 2011, en huit années, les dotations de la loi de finance initiale (LFI) au titre des OPEX sont passées de 24 à 630 millions d’euros tandis que leurs surcoûts, en raison de l’importance de l’engagement dans des opérations militaires extérieures, explosaient de 630 millions à vraisemblablement plus d’un milliard d’euros pour l’année 2011.
Voilà des ressources dilapidées qui contribueraient à la solution de la crise. Au lieu d’anémier les services publics, la santé, l’enseignement ou la recherche, par une politique de réductions de dépenses à courte vue, ou de carrément saigner le peuple comme en Grèce, les Etats concernés n’ont qu’à mettre un terme à leurs engagements militaires : ils retrouveront beaucoup d’argent gaspillé à semer la misère et la mort.
Enfin, dernière solution aux problèmes actuels : le traitement de la dette. John Adams disait déjà au XIXe siècle : “Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une est par l’épée, l’autre est par la dette”. A l’aune de cette observation, la France est en voie d’être vassalisée. Sarkozy a longtemps été le caniche de Bush en préférant le Pentagone américain à l’hexagone français, aujourd’hui il est celui de Merkel avant de couiner à la porte des Chinois. Nous sommes réduits à l’état de colonie par le poids de ce que nous avons à rembourser. D’après Le Figaro des 1 et 2 octobre, la dette française atteint à la fin du deuxième trimestre de cette année 1.692,7 milliards d’euros, soit 46,4 milliards de plus qu’au trimestre précédent. Et entre 1980 et 2008, les Français ont travaillé pour payer 1.306 milliards d’intérêts créés par les banques à partir de rien. Là encore, on est stupéfait de ne pas voir l’opposition dénoncer ce formidable enrichissement artificiel des banques à nos dépens qui aboutit à la dissolution de notre indépendance, et proposer les réactions draconiennes qui s’imposent.
On peut observer en passant que le principe de l’intérêt perçu sur un emprunt est condamné par les grandes religions sous le nom d’usure. Il est interdit par la Bible dans le Deutéronome, l’Exode, le Lévitique et le Livre d’Ezéchiel. Il est interdit par le Coran dans les versets de plusieurs sourates. Il est interdit par le Talmud (quoique parfois autorisé pour les non-juifs). Mais vous savez tous que la cupidité se fout de la morale, il est donc inutile d’insister.
Cela dit, puisque toute la géopolitique impériale se drape dans la moralité de la lutte du bien contre le mal, on peut tout de même souligner l’immoralité profonde de ces intérêts. D’autant plus qu’ils sont fixés de façon arbitraire, et avec des différences colossales, selon les indications des agences de notation, qui déclenchent une spirale mortelle : un pays qui a des difficultés à rembourser devra payer des intérêts accrus, ce qui augmente encore ses difficultés, et ainsi de suite.
Tout cela est évidemment inacceptable. Le célèbre poète allemand Friedrich Schiller écrivait en 1785 : “Que les dettes soient abolies et le monde entier réconcilié !” Par une superbe ironie du sort, ce vœu figure dans un des couplets de l’“Ode à la joie” de Beethoven, devenue l’hymne de l’Union européenne. Comme si les deux génies de la littérature et de la musique indiquaient la voie à suivre au cœur même d’un des édifices que la crise fait chanceler.
Une voie qui, comme dans le cas de l’impôt sur les grandes fortunes, a des précédents.
Au moment de la Révolution française, la dette nationale s’élevait à plus de 80 % du PIB, une proportion de peu inférieure à celle d’aujourd’hui, qui est de 84,5 % du PIB. Le déficit de l’Etat était de 20,63 % contre 25,5 % en 2010. En 1797, le Directoire décida ce qu’on appela la “Banqueroute des deux tiers”, c’est-à-dire qu’il ne paya une rente que sur un tiers de la dette, le reste étant effacé.
On peut aussi citer l’Argentine qui, entre 1998 et 2002, au moment de la crise majeure qui risquait de faire imploser le pays, se résolut à une refonte complète de ses engagements internationaux. Le président de l’époque, Nestor Kirchner, rompit les négociations avec le Fonds monétaire international et refusa de payer 95 milliards de $ de dettes. Résultat : le 25 octobre dernier, le New York Times a décrit le boom actuel argentin : 8 % de croissance prévu pour cette année (la plus rapide de toute l’Amérique latine) ; un niveau record de l’emploi ; la pauvreté réduite de moitié depuis 2007.
Dans les deux cas, le rejet courageux du chantage des créanciers a permis au pays de retrouver la santé de son économie.
La solution s’impose donc d’elle-même. Les Etats doivent s’affranchir du pouvoir des banques. Le cercle vicieux des trous creusés pour en remplir d’autres doit être brisé. Dettes et intérêts doivent être annulés, en tout ou en partie. Il faut refuser de payer les faux monnayeurs et les étrangleurs de peuples. Cette nécessité est si criante que, contraints et forcés, Merkel et Sarkozy viennent de décider un moratoire sur la moitié de la dette grecque, malheureusement accompagné d’une recapitalisation des banques sans prise de possession qui va encore voler quelques centaines de milliards aux contribuables.

En conclusion, pour reprendre le célèbre discours de Martin Luther King, nous pouvons aussi faire un rêve. Celui d’un gouvernement dont les membres ne se seront pas contentés de brandir le poing dans des réunions électorales, mais l’abattront avec force sur la table pour imposer des décisions.
Partager les établissements financiers en banques d’affaires et en banques de dépôts. Réglementer les spéculations des unes, interdire les spéculations aux autres.
Habiliter de nouveau la banque nationale à créer la monnaie et à accorder des prêts sans intérêts.
Appliquer la taxe Tobin à toutes les transactions financières, mais à un taux sérieux.
Supprimer les dépenses inutiles, en particulier celles concernant l’ectoplasme européen. Imposer lourdement les hauts revenus. Pourchasser énergiquement les fraudes en tous genres.
Arrêter les guerres. Mettre fin aux engagements militaires. Dissoudre l’OTAN, qui n’a plus de raison d’être, ou tout au moins en sortir comme l’avait fait de Gaulle.
Annuler les dettes souveraines, en tout ou en partie. Rendre à l’Etat, en le retirant aux banques et aux agences de notation, le soin de fixer les intérêts des emprunts et les montants des remboursements éventuels.
Imposer l’entrée de l’Etat dans le capital des banques ou leur nationalisation, selon l’importance des renflouements.
Vaste programme”, comme disait de Gaulle. Celui d’une France retrouvant sa souveraineté et servant de nouveau d’exemple. Qui n’a hélas aucune chance d’être appliqué par nos politiciens. Les banques continueront à éroder les indépendances nationales et à imposer leur profitable mondialisation à des eurolâtres paniqués. Les traders de la bourse spéculeront de plus belle. Les gouvernements dilapideront l’argent qu’ils arracheront aux peuples. Les riches s’enrichiront de plus en plus en recommandant de saigner les pauvres. L’opposition ne sortira pas du système et se satisfera des rustines d’un réformisme édenté.

Pourtant ce sombre tableau n’est pas dépourvu d’une lueur d’espoir. J’ai écrit deux livres pour décrire le gouffre qui s’est creusé entre les peuples et leurs dirigeants et pour expliquer qu’une explosion se produirait inéluctablement un jour ou l’autre. On assiste aux prémisses de cette explosion. Les peuples commencent à s’irriter. Les dupes se réveillent. Les émeutes de la faim éclatent dans le Tiers monde. Les “printemps arabes“ sont infiltrés par des récupérateurs à la fois occidentaux et islamiques, mais ils ont sonné le tocsin d’un soulèvement spontané. Il y a les “indignés” qui manifestent leur colère dans de nombreux pays. Une colère encore balbutiante, peu structurée, brouillonne, mais significative. Une colère qui sera dans un premier temps réprimée, ou édulcorée par son intégration au système, mais qui continuera à fermenter. Les injustices sont trop flagrantes, elles alimenteront de plus en plus la rage des exploités. Indignations et révoltes sont des signes : elles font partie de notre avenir. Leurs étincelles ont mis le feu aux poudres. Ca mettra peut-être du temps, mais l’incendie qu’elles ont allumé se propagera.


Pour finir, et pour vous détendre un peu après ce long exposé, je vous propose un sourire à propos de Sarkozy.
Vous pouvez étaler votre érudition dans les dîners en ville en le définissant ainsi : un glossolalique atteint de TOC, pratiquant la xylologie dans la chrématistique à coups de zeugmes et d’apories.
Vous n’avez pas compris ? je traduis, grâce au Larousse. Un malade mental usant d’un vocabulaire inventé, atteint de troubles obsessionnels compulsifs, pratiquant la langue de bois dans la recherche de richesses à coups d’accidents de style et de contradictions. Les mots sont exacts, vous pouvez les trouver dans le dictionnaire.

Nous, nous resterons fidèles à une pensée de Lao Tseu : “Le courage d’une goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert.”
Merci.

Louis DALMAS

Directeur de B. I.
Conférence du 31 octobre 2011.