mercredi 30 novembre 2011

Supplique au peuple russe de ne pas oublier l'histoire

SUPPLIQUE AU PEUPLE RUSSE POUR NE PAS OUBLIER L’HISTOIRE


Les peuples slaves, perdus dans l’immensité de leur territoire, sont les derniers, apparemment, à avoir émergé sur la scène historique. Cette particularité est peut-être due en partie à la spécificité des cultures « barbares » qui privilégiaient l’utilisation majoritaire du bois, pratiquée également par les Celtes et les Germains, et qui a l’inconvénient de laisser peu de traces aux archéologues, contrairement aux autres cultures antiques, égyptienne, mésopotamienne, grecque, romaine…, qui utilisaient non seulement la pierre mais aussi l’écriture. Sans les écrits de César et des historiens romains, Pline ou Tacite, ou grecs comme Hérodote, et sans l’apport civilisationnel donné aux populations germaniques et celtes dans le cadre de l’Imperium, nous ne connaîtrions que fort peu de choses de ces cultures barbares ou présumées telles. Nous savons également que les druides gaulois par exemple, connaissaient l’écriture, notamment le grec, mais privilégiaient la transmission orale. On peut penser qu’il en fut de même pour les Slaves ou les Germains. Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle l’étymologie de la racine slav signifierait « mot, parole, parlant » cela pourrait peut-être signifier que les Slaves seraient le dernier grand peuple indo-européen à avoir privilégié la culture orale contre la culture de l’écrit. Cette hypothèse ne remet d’ailleurs pas en cause les autres étymologies liées à cette racine slav et qui peuvent signifier aussi la gloire, le renom ou désigner la région d’origine où coulait un fleuve portant cette désinence. Cette étymologie pourrait également s’expliquer par antagonisme avec la désignation de l’étranger dans les langues slaves « nemetsky » -littéralement « sans mot »-qui serait alors non pas celui qui n’a pas de mot ou qui n’utilise pas la parole, mais celui qui utilise l’écriture, notamment pour le commerce.

Il est cependant probable qu’au moins jusqu’au milieu du 1er millénaire avant J.C, il n’y avait pas plus de différence significative entre les Goths, les Vandales/Wendes, les Alains, et autres Sarmates, qu’entre les différentes tribus gauloises, Eduens, Rèmes, Arvernes, Venètes, Allobroges, Séquanes… un demi millénaire plus tard. Ces dernières, toutes issues d’une branche dite celte, et qui avaient pour origine, cette même région entre la Baltique et la mer Noire que l’ensemble des populations indo-européennes avant leur migration et leur mutation subies sous l’influence des populations qu’elles conquirent ou avec lesquelles elles se mélangèrent.

Néanmoins, cette différence culturelle profonde, dès la fin du néolithique, entre peuples de traditions orales et peuples de l’écriture, représenta probablement un antagonisme majeur entre deux conceptions du monde, qui recouvrait peut-être, l’opposition entre perception d’un temps cyclique et d’un temps linéaire.

Si l’on accepte l’idée selon laquelle les Wendes serait ce peuple qui aurait donné naissance à de nombreux toponymes situés en Europe occidentale (Venise, Vannes, Vienne…) et qu’ils furent connus et désignés comme tels, notamment par Jules César sous le nom de Vénètes dans la Guerre des Gaules, alors nous nous trouvons avec une hypothèse selon laquelle, ces peuples venus de l’est ne sont qu’un des nombreux rameaux issu de ce peuple proto-indo-européen qui existait avant que n’apparaisse la distinction entre Grecs, Romains, Perses, Celtes, Germains ou Slaves. Il est plausible également que les Wendes et les Vandales ne soient en fait qu’un seul et même peuple, sauf à admettre l’idée selon laquelle les Vandales seraient une association de deux peuples, les Wendes et les Alains qui se seraient alliés dans leur grande course qui les mena des rives de la Vistule jusqu’en Gaule puis en Espagne, et de là en Afrique qu’ils conquirent jusqu’à Carthage, avant de prendre Rome au Vème siècle après J.C. Quoiqu’il en soit, les Romains, comme les Grecs, baptisaient ces peuples du nom de « barbares » pour leur mœurs probablement moins policées que les leurs mais plus probablement parce que ces derniers n’utilisaient pas l’écriture, facteur de civilisation et d’histoire et surtout facteur de longue mémoire. Cette distinction entre Celtes et Germains est contemporaine de la conquête des Gaules par les Romains et la désignation comme telle des Slaves est plus tardive parce que l’écriture n’est apparue dans ces régions au IXème siècle qu’après l’évangélisation initiée par les moines Cyrille et Méthode.

Sur l’ancienneté des peuples slaves, il est admis aujourd’hui par la majorité des historiens sérieux que les Slaves peuvent légitimement estimer comme leurs ancêtres directs les Sarmates ou Sauromates, de même que les Vénètes ou Wendes dont on vient de parler. On trouve la présence attestée des premiers (Sarmacia) sur une reproduction du XVème siècle d’une carte de Ptolémée les plaçant sur un territoire situé au nord d’une région entre la mer Noire et la mer Caspienne et situant même une branche sarmate au nord de l’ancienne Dacie et à l’est d’une Germania Magna. Mais si les Grecs et les Romains, de même que les Perses, connaissaient les peuples Wendes ou Sarmates, ils ne les ont jamais conquis, du moins ceux qui sont restés au-delà du limes, et de ce fait n’ont pu leur transmettre cette culture de l’écrit et donc de l’histoire.

Autre facteur de retard dans l’émergence du temps historique pour les peuples slaves est leur conversion tardive au christianisme au IXème siècle, si l’on excepte le voyage que Saint Paul aurait fait en Moravie et qui est relaté dans le fameux récit de « la Chronique des temps passés » ou encore celui qu’aurait fait Saint André dans la future Ukraine avant son martyre subi à Patras sous l’empereur Néron.

Le christianisme fut non seulement une formidable machine d’unification spirituelle mais aussi d’organisation administrative et de conscience historique. On peut considérer qu’à partir de la fin du Vème siècle, sur les décombres de l’empire romain, l’essentiel des populations vivant dans les limites de l’ancien limes étaient peu ou prou christianisées, même si cette christianisation pouvait revêtir diverses formes d’expression (les Vandales par exemple, s’étaient convertis à l’arianisme).

La singularité, déjà, du peuple russe est d’avoir reçu son héritage spirituel de Byzance et non de Rome. Certes, au IXème siècle, la rupture entre chrétiens d’orient et chrétiens d’occident n’était pas encore définitive, mais on peut néanmoins affirmer que des différences notables existaient déjà entre l’orthodoxie byzantine et l’orthodoxie romaine et pas seulement sur les questions de rites ou de liturgie ni même sur la question théologique de la procession du Saint Esprit selon le Père ou le Fils qui sera la principale question de la dispute théologique qui aboutira au grand schisme de 1054. Une piste de réflexion paraissant intéressante serait celle qui étudierait les correspondances et les similitudes entre la doctrine chrétienne d'Arius, et peut-être aussi le nestorianisme avec le christianisme byzantin et son successeur direct qu'est le monde orthodoxe.

Très présente dans les esprits est l’idée reçue selon laquelle c’est avec l’arrivée des princes varègues que serait né le premier état russe. Ce que l’on peut dire de manière certaine, c’est que l’apparition de populations varègues sur la Volga ou le Don, et sans que cela ne marque un rapport direct entre les deux faits, a précédé de peu la christianisation progressive de la terre russe. On peut noter ici que l’origine strictement scandinave des varègues est sujette à caution. Plusieurs sources, et pas seulement soviétiques ou slavophiles, font état d’origines variées (finnoises, baltes, germaniques et slaves) pour ces populations qui n’étaient peut être en définitive qu’une espèce de fédération d’hommes de mer venus de peuples riverains de la Baltique qui avaient fait de la piraterie leur métier, un peu comme ces confréries de pirates des Caraïbes au XVIIème et XVIIIème siècle qui étaient composés de ressortissants anglais, français, espagnols ou hollandais. Quoiqu’il en soit, la présence à Novgorod, puis à Kiev de Varègues, attestée par la Chronique des temps passés, coïncide approximativement avec l’arrivée en Grande Moravie de l’écriture glagolitique, héritée du monde grec et non pas romain. Mais les missionnaires macédoniens Cyrille et Méthode ont transmis non pas le grec mais le slavon qui correspondait probablement à une langue vernaculaire communément parlée et comprise par l’ensemble des peuples Slaves de la Baltique jusqu’à la mer Noire. Tout s’est passé en fait comme si dès l’origine, le peuple russe avait voulu marquer sa singularité dans le monde. Dernier peuple indo-européen apparu sur la scène historique du continent eusasiatique, le peuple russe entend montrer à l’univers qu’il a sa propre vision du monde et que celle-ci n‘est pas réductible aux seuls héritages laissés par les civilisations antérieures.

Première idée-force que je voudrais exprimer dans ce texte : les Russes sont le dernier grand peuple indo-européen vivant toujours sur la grande terre des origines - et peu importe que celle-ci se situe sur les bords de la Baltique ou sur les bords de la mer Noire - un peu comme ce fils qui reste à la maison pour veiller sur sa vieille mère, alors que les frères sont partis. Les peuples indo-européens, par vagues successives et par la force des armes et de leurs chevaux, sont allés conquérir le monde, des Indes à l’extrême occident, mais un seul est resté sur la terre des ancêtres pour garder le foyer des origines : le peuple russe. Cet attachement profond à la terre, la forte prévalence paysanne dans la culture russe d’avant la Révolution de 1917, et la sanctification de la terre russe, résultent de cet héritage du fils fidèle qui sait tout ce qu’il doit à la terre de ses ancêtres.

Deuxième idée-force : Cette situation qui a amené le peuple russe à conserver l’héritage sacré des ancêtres l’a empêché de se frotter aux autres cultures comme l’ont fait les Grecs, les Romains, les Celtes, les Perses ou les Germains. De plus, l’émergence tardive de la grande Rus kiévienne dans l’histoire a donné l’impression aux Russes eux-mêmes qu’ils étaient en quelque sorte les fils cadets de la grande famille indo-européenne. Or, rien ne permet d’affirmer aujourd’hui qu’il n’existait pas de culture spécifiquement slave avant la naissance du premier état russe au IXème siècle. Rien ne permet d’affirmer non plus que le peuple russe soit le dernier peuple indo-européen apparu sur le continent. Le peuple russe, rameau central des peuples slaves fut en tout cas le seul qui a su conserver l’héritage ancestral, et qui l’a défendu tout au long de son histoire contre les invasions mongoles ou de peuples turcophones.

Ce sentiment d’être entré tardivement dans l’histoire est un des complexes ressentis par les Russes qui donnent ainsi perpétuellement l’impression de vouloir rattraper un prétendu retard, culturel ou technologique. Que ce soit sous Pierre le Grand avec l’européanisation forcée de la société russe ou que ce soit sous la mainmise communiste avec les plans quinquennaux ou le mythe du stakhanovisme qui prétendaient rattraper et dépasser l’occident, comme si la civilisation occidentale était le modèle à imiter pour ne pas disparaître dans les poubelles de l’Histoire.

Or, si l’occident a produit des merveilles dans le passé, ce temps est aujourd’hui révolu. Les controverses sont nombreuses pour dater précisément le début de cette décadence, mais on peut admettre que la grande rupture avec la Tradition remonte à la Révolution française. Depuis lors, l’occident est entré progressivement sous la domination de l’esprit marchand et nous sommes peut-être en train de vivre en ce début de XXIème siècle la fin de cette époque qui a abouti à un complet renversement des systèmes de valeur d’une société organique. Les principes sur lesquels repose le modèle occidental, exclusivement matérialistes comme l’étaient ceux de la société soviétique, même s’ils savent satisfaire mieux que le système communiste toutes les aspirations matérielles des êtres humains, sont tout comme eux totalement dénués d’aspiration spirituelle ; ils en sont même l’exacte négation. Héritier de l’humanisme de la Renaissance et surtout de la philosophie des Lumières du XVIIIème siècle, le modèle occidental, porté principalement aujourd’hui par ce que l’on pourrait appeler l’idéologie anglo-saxonne, est à bout de souffle et il serait suicidaire pour les Russes de l’accompagner dans sa chute.
De cela il découle, troisième idée-force, que le peuple russe doit inventer lui-même, doit trouver en lui-même, dans son génie propre, les forces pour proposer une autre conception du monde, pour offrir une alternative à la pensée occidentale unique et totalitaire qui domine les esprits depuis l’effondrement du modèle soviétique.

Même si la révolution soviétique peut être considérée comme un grand malheur qui a frappé le peuple russe avec son cortège de massacres et de destructions, elle a paradoxalement préservé l’âme du peuple du poison occidental en l’enfermant derrière son rideau de fer. Cette cuirasse aussi pénible qu’elle ait pu être à porter a protégé les esprits de la contamination occidentale. C’est peut-être aussi pour cette raison là que la majorité des Russes d’aujourd’hui plébiscite encore Staline et le considère comme l’une des principales figures de leur histoire.

La grande force de l’occident est d’avoir réussi à faire croire au monde entier qu’il apportait la liberté et la démocratie en même temps que la satisfaction de tous les besoins matériels alors qu’en réalité le mode de vie consumériste qu’il propose n’est qu’une arme métapolitique, un cheval de Troie, lui permettant de détruire l’âme des peuples pour conquérir le monde.

Il est grand temps d’ouvrir les yeux aujourd’hui sur la réalité du monde. Les élites anglo-saxonnes, et associées avec elles, toute une kyrielle d’associations, de clubs et de sociétés plus ou moins ésotériques, ont entrepris une marche forcée vers ce qu’ils appellent la globalisation et qui n’est rien d’autre que la réduction en esclavage de l’ensemble des nations qui constituent l’humanité.

Depuis le XVIème siècle, la stratégie des dirigeants britanniques a été de lutter par tous les moyens contre la puissance dominante du continent européen. Cela s’est vérifié au XVIème et XVIIème siècle contre la puissance espagnole, puis au XVIIIème et jusqu’à Waterloo contre l’hégémonie française, puis entre le milieu du XIXème siècle et jusqu’en 1945 contre la puissance germanique. Dernier objectif de la puissance anglo-saxonne, aujourd’hui essentiellement américaine, la fédération de Russie.

Même si ce sont aujourd’hui les Etats-Unis qui portent l’effort principal pour l’homogénéisation du monde sous leur férule, j’ai acquis la conviction que c’est en Angleterre qu’est née, probablement dès le XVIème siècle, puis s’est développée à partir du XVIIIème siècle à travers les cercles naissants de la franc-maçonnerie, cette idéologie de l’hegemon anglo-saxon. Cette vision du monde a pu poursuivre son chemin plus tard et trouver sa propre justification dans la réussite totale de l’Angleterre victorienne qui voyait ses ambitions les plus folles se réaliser : maîtresse incontestée des mers, première puissance industrielle et marchande du monde ayant vassalisé la France depuis la chute de Napoléon 1er, régnant en Afrique, en Océanie, dans le Pacifique, en Inde et jusqu’aux confins de la Chine, plus grand chose ne semblait en mesure de s’opposer à ses rêves de conquête du monde. Pour illustrer mon propos, je vous livre deux citations d’auteurs anglais : La première est de Walter Raghley, écrivain et explorateur qui vécut de 1554 à 1618 : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ». La seconde est de Halford John Mackinder, géographe et géopoliticien (1861-1947) : « Qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ». Dans l’esprit de Mackinder, ce heartland se situe essentiellement entre l’Europe centrale et la Sibérie occidentale. Autrement dit, depuis la disparition de l’Union soviétique, entre la perte du glacis occidental, de l’Ukraine et de la Géorgie, sans omettre la perte des territoires du Caucase jusqu’au Tadjikistan, une grande partie de la prédiction de Mackinder s’est réalisée.
Mais revenons un instant à l’ère victorienne. Quasi maîtresse du monde il restait toutefois à l’Angleterre deux adversaires de taille : Le monde russe et le monde germanique.

Les Russes d’abord : Toute la politique britannique depuis le conflit russo-perse de 1813 en passant par la guerre de Crimée d’octobre 1853 à mars 1856 jusqu’au congrès de Berlin de 1878, visera à contenir l’expansion russe vers le sud, vers l’est et vers l’ouest. Cette politique était en opposition totale avec la volonté des Tsars de reprendre le contrôle du Bosphore et de rendre la cathédrale Sainte Sophie à son culte d’origine afin d’effacer la honte de 1453. A l’est, le « Grand jeu » entre les deux empires aboutira à la création en 1879 d’un état tampon artificiel, l’Afghanistan, territoire qui marquera les limites extrêmes atteintes par la puissance thalassocratique et la puissance continentale. Mais après le congrès de Berlin de 1878, où l’Angleterre, la France, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, humiliaient la Russie en annulant les clauses du traité de San Stefano qui entérinaient la suprématie russe sur l’empire ottoman, l’empire britannique réorienta sa politique européenne contre la menace que représentait désormais l’Allemagne, alliée de l’Autriche-Hongrie. Cela n’empêcha pas l’Angleterre, et certaines banques américaines, de soutenir le Japon dans la guerre russo-japonaise de 1905, mais globalement, l’ennemi principal pour Londres en cette fin du XIXème siècle n’est pas encore Saint Petersbourg mais Berlin.

La France, qui n’a toujours pas accepté la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine après sa défaite de 1870 face à la Prusse, s’est rapprochée de l’Angleterre, malgré les rivalités coloniales, et entame une politique de rapprochement avec la Russie dès 1892. Cette politique d’alliance franco-russe sera à la base de la Triple-Entente, Russie, France, Angleterre, réplique à la Triplice inaugurée en 1882 entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Cette politique d’affrontements entre blocs aboutira à la catastrophe de 1914 qui verra en même temps la chute des empires centraux et de la dynastie des Romanov.

Les Français ont oublié, hélas, qu’ils furent sauvés en 1914 lors de la bataille de la Marne par l’intervention des troupes russes qui engagèrent le combat sur le front est, alors qu’elles étaient insuffisamment préparées, ce qui obligea les Allemands à diminuer leur effort à l’ouest.

La Grande guerre ne sera pas seulement l’occasion de redistribuer les cartes en Europe, elle sera aussi et surtout le basculement géopolitique majeur qui verra les élites américaines supplanter leurs aînées britanniques. Pour mieux comprendre ce basculement géopolitique majeur en faveur des Etats-Unis, il convient d’étudier la notion de relations spéciales – special relationships – existant entre les deux puissances anglo-saxonnes. Il est assez commun de faire remonter cette relation privilégiée à l’accord de septembre 1940, lorsque Roosevelt accepta d’aider Churchill en lui fournissant une cinquantaine de destroyers pour l’aider à lutter contre l’Allemagne nazie. Je pense pour ma part que l’existence de cette « relation spéciale » est beaucoup plus ancienne et qu’elle remonte probablement à la création des loges maçonniques américaines dès le début du XVIIIème siècle par la Grande loge d’Angleterre. A cet égard, on peut considérer la guerre d’indépendance américaine comme une guerre de rivalité maçonnique dans le contrôle des affaires du monde. Mais une fois réglé le différend entre Londres et Washington est née en Angleterre l’idée de rassembler les élites financières, essentiellement anglo-saxonnes, réparties sur l’ensemble du globe afin de travailler solidairement à la prise de contrôle total de l’humanité. A cette fin, fut créée une société secrète appelée la « Round Table » par l’aventurier et homme d’affaires britannique Cecil Rhodes (1853 – 1902). Cet homme qui fit fortune grâce aux Rothschild dans les mines de diamants d’Afrique du sud a jeté les bases d’un véritable réseau d’hommes d’influence qui s’est constitué notamment par la mise en place du Royal Institute of International Affairs (RIIA). Cet organisme s’est attaché à relier des hommes politiques influents, des financiers internationaux, des dirigeants de grandes entreprises, des intellectuels éminents afin d’orienter la marche du monde dans le sens de leurs prévisions. Un des objectifs principaux que s’était fixé le RIIA était d’abattre les empires centraux et l’empire russe. C’est à cette fin que fut préparée et souhaitée la guerre de 1914-1918. Cette guerre fut une réussite totale pour ceux qui la fomentèrent : disparition de l’empire des Habsbourg et des Hohenzollern et effondrement de la dynastie des Romanov. Mais cette guerre en faisant disparaître l’empire austro-hongrois et en affaiblissant l’Allemagne avait en même temps considérablement endetté l’Angleterre et la France, principalement à l’égard des Etats-Unis. Cela entraîna le transfert de leadership de Londres à Washington mais ne modifia en rien le but initial que s’était fixé l’oligarchie. Le navire amiral de l’entreprise de globalisation du monde n’était plus à Londres mais à Washington, mais il gardait le même cap.

En ce qui concerne la révolution bolchevique d’octobre 1917, s’il est certain que l’Allemagne avait un intérêt évident à la financer pour aboutir au traité de Brest-Litovsk lui permettant de tourner toutes ses forces vers l’Ouest, il est non moins certain que la banque WARBURG finança également cette révolution. De la même façon, une grande partie de l’industrialisation de l’Union soviétique fut réalisée dès les années 1920 avec des capitaux anglo-saxons. Outre l’intérêt, jamais absent, du profit financier que pouvait y trouver l’oligarchie mondiale, se dessinait déjà la volonté de provoquer l’affrontement entre la puissance allemande en voie de renaissance et la puissance russe qui constitue pour les anglo-saxons le dernier obstacle avant le contrôle du heartland.

Parallèlement en Allemagne, mais un peu plus tard lors de l’avènement du nazisme, un certain nombre de faits permettent d’avancer l’hypothèse que plusieurs dirigeants politiques ou financiers anglo-saxons, anglais ou américains, voyaient plutôt d’un bon œil l’installation du national-socialisme à Berlin. Plusieurs raisons pouvaient conduire à cela : « solidarité germanique », volonté de ne pas voir la France trop puissante sur le continent européen, et peut-être, même si cela peut paraître contradictoire avec l’idée de solidarité germanique, le désir de voir s’affronter à nouveau les Allemands et les Russes avec toujours comme idée maîtresse de diviser et d’affaiblir ses adversaires pour mieux les dominer. Cette idée de solidarité germanique explique en partie pourquoi Hitler en mai 1940 n’a pas exploité son avantage contre l’Angleterre dans la course à la mer jusqu’à Dunkerque afin, a-t-il dit plus tard, de ne pas l’humilier et cela explique également pourquoi il envoya quelques mois plus tard son dauphin Rudolf Hess à Londres afin de négocier une paix des braves. Si l’on est un peu curieux et que l’on s’intéresse de plus près aux personnalités anglaises que se proposait de rencontrer Rudolf Hess, on s’aperçoit que toutes étaient membres du fameux Royal Institute of International Affairs. Mais il était trop tard, dans le camp de l’oligarchie qui se propose de dominer le monde, les rivalités ne sont pas rares, et le clan des judéophiles l’avait emporté en 1940 sur celui des germanophiles.

Dans la stratégie des mondialistes tous ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux. Dans cette logique, il est probable que Mikhaïl Gorbatchev a joué le rôle de l’idiot utile pour reprendre une terminologie léniniste. Le démantèlement de l’empire soviétique entre le milieu des années 80 et jusqu’en 1991 n’a pu se faire qu’en étroite coordination entre principaux dirigeants occidentaux (anglo-saxons et allemands notamment) et certains dirigeants soviétiques. Que ce soit la chute du mur de Berlin en novembre 1989 ou la chute de Ceaucescu quelques semaines plus tard, il est évident qu’une concertation est/ouest a été mise en place pour mettre un terme au règne du communisme au crépuscule du XXième siècle et préparer l’avènement de la grande révolution libérale et la mise en place du nouvel ordre mondial. Mais si Gorbatchev a été victime d’un coup d’état avec l’arrivée d’Eltsine au pouvoir en 1991 c’est parce qu’il a compris trop tard qu’il avait été berné par ses « amis » occidentaux et que dans le marché qu’il avait conclu avec eux, la disparition du communisme ne devait pas s’accompagner, dans son esprit du moins, de la disparition de l’Union soviétique et du démembrement de son territoire. L’ayant compris trop tard, Gorbatchev a été évincé et remplacé par un homme qui sous le couvert de donner la liberté aux peuples de l’Union soviétique a été le principal responsable du plus grand recul que la Russie ait connu depuis le temps des troubles. C’est durant le règne d’Eltsine qu’outre la perte des territoires péniblement acquis depuis des siècles que la Russie fut bradée, pillée et vendue comme un pays qui aurait été vaincu.

Mais c’est toujours lors des plus grands désastres que la Russie montre ce qu’elle a de meilleur. De mes nombreuses rencontres avec la Russie, j’ai acquis la conviction que tout s’était passé comme si tout d’un coup, au sein des élites russes, un petit groupe d’hommes s’était réuni pour mettre un terme à ces années de décadence et de corruption. Avec l’arrivée de Vladimir Poutine, le camp des libéraux a été progressivement éliminé du pouvoir politique et a été cantonné au monde de l’économie, à la condition qu’il respecte la nouvelle règle du jeu, c’est-à-dire qu’il n’empiète pas sur la sphère politique (Khodorkovsky) et surtout qu’il joue la carte russe (nationalisation et/ou économie mixte, intérêt national) et non pas la seule carte de l’oligarchie financière internationale.

Ce retour du politique et du sacré en Russie a été vécu par tous ceux qui aiment ce pays comme une véritable bouffée d’air pur et un véritable espoir de voir peut-être l’entreprise d’asservissement du monde par les mondialistes tenue en échec. Pourtant avec mon regard occidental habitué depuis un demi-siècle à voir dans mon pays et partout en occident, les ravages que provoque la lèpre de l’idéologie marchande, je ne peux que regarder avec tristesse couler le poison des idées occidentales dans la société russe d’aujourd’hui et notamment parmi sa jeunesse. Quand je visite à Moscou le musée de l’Armée rouge et que je vois proposer à la vente un badge montrant ensemble Dimitri Medvedev et Barrack Obama, je me pose la question de savoir si dans les musées de l’armée américaine on présenterait une photo du président américain en exercice avec son homologue russe. Quand je vois des jeunes Russes arborer des casquettes « New-York » ou des maillots d’universités américaines, ou encore écouter de la musique anglo-saxonne, quand je vois ou j’entends en Russie le matraquage publicitaire à la télévision, dans les journaux ou les radios, je ne peux m’empêcher de penser à l’histoire du cheval de Troie. La Russie aura beau remettre l’armée rouge en ordre de bataille, déployer ses satellites et ses missiles balistiques, et même réagir promptement et efficacement devant l’agression anglo-saxonne en Ossétie, si elle continue à laisser agir le virus qu’inocule l’occident à travers tous ses médias, alors elle tiendra cinq ans, dix ans, cinquante ans peut-être et après cela elle s’effacera tout doucement de l’histoire des peuples et des hommes, comme la France qui s’est couchée depuis déjà longtemps et qui s’endort lentement dans le sommeil mortel des peuples qui ne croient plus en leur avenir.

Pourtant malgré cette tristesse, malgré les faiblesses de la société russe contemporaine abîmée par soixante-dix années de marxisme et dix années de turbo-libéralisme, je ne peux m’empêcher de penser quand j’observe la Russie d’aujourd’hui que c’est d’ici et nulle part ailleurs que peut ressurgir un espoir pour tous les peuples libres du monde qui veulent mettre un terme à l’esclavage que leur prépare l’oligarchie anglo-saxonne. Il est difficile d’exprimer rationnellement pourquoi le peuple russe est le mieux armé pour remplir cette mission véritablement sacrée. Peut-être à cause de son exceptionnelle endurance forgée par des siècles de vie dans une nature hostile, peut-être à cause de sa religion qui offre, mieux que le catholicisme aujourd’hui, un rempart contre l’idéologie marchande. Peut-être aussi à cause de son histoire tourmentée et difficile qui lui a enseigné ce que d’autres peuples n’ont pas appris ou ont oublié. Peut-être également grâce au talent de ses joueurs d’échecs, sachant que dans la partie qui se joue actuellement avec l’occident, il n’y aura pas de revanche et encore moins de belle et que si l’occident l’emporte, ce seront plusieurs milliers d’années d’histoire qui disparaîtront avec l’avènement d’une caste de marchands qui constitue très exactement ce que tous les peuples européens depuis les débuts de leur épopée ont toujours considéré de plus vil.

Une autre raison encore qui me fait espérer, bien que celle-ci soit paradoxale, me vient d’un de mes amis qui assistant à une conférence de presse en 2007 avec le Président Poutine a entendu ce dernier répondre en substance à une question posée par un journaliste sur l’orientation idéologique de son régime : « De l’idéologie ? Vous ne croyez pas qu’on en a souffert suffisamment comme ça des idéologies ? » Et je comprends très bien cette réponse qui vient d’un homme pragmatique et totalement désabusé à l’égard des idées qui ont meurtri son pays durant les dernières décennies.

Toutefois, et c’est le dernier point sur lequel je voudrais insister : le monde n’est pas neutre. Tous les peuples sont en concurrence les uns avec les autres depuis que le monde est monde. Le pragmatisme est une arme nécessaire mais insuffisante pour se défendre, surtout face à une vision du monde aussi dévastatrice que l’idéologie prétendument libérale, qui n’est que le masque utilisé par ces oligarques pour avancer leurs pions. Le danger vient du fait qu’il est très difficile d’attaquer les idées « libérales » sauf à passer pour un dangereux maniaque, un défenseur des idées passéistes, voire pour un fanatique partisan des camps de travail (cf. les révolutions colorées qui ont toutes été sans exception, organisées par des agents occidentaux afin d’affaiblir la Russie). La méthode de propagation de ce virus est très simple mais redoutable. Il agit comme un ferment de dissolution des sociétés dans lesquelles il s’introduit sans heurt et il vise à l’atomisation de tous les individus en supprimant toutes les relations organiques existant dans le corps social. Cela se fait de manière insidieuse par des émissions de télévision ou de radio, prétendument objectives et en fait totalement orientées, cela se fait par la publicité qui développe l’idée du consommateur-roi. Cela se fait par la musique débilitante, par le cinéma hollywoodien, par les prétendues Organisations Non Gouvernementales et leur prétendu « contrôle démocratique », par l’attribution du statut de « patrimoine mondial de l’humanité » à des sites remarquables comme celui de Souzdal, par des conférences sur le réchauffement climatique ou sur la culpabilité soviétique durant l’ère stalinienne, par des prêches de pasteurs protestants sur le salut individuel, par la présence des témoins de Jéhovah ou des Mormons, par des universitaires étrangers ou par des crétins qui répandent la doctrine de Hare Krishna sur Arbat et par tous les moyens qui permettront de répandre la folie et la polysémie ce qui entraînera la perte de sens et la perte des repères traditionnels.

Ces dernières années le Système a multiplié les tests à l’échelle planétaire pour accélérer le processus de domination de la planète. Sans entrer dans le détail, observons simplement qu’aujourd’hui Internet et le téléphone portable sont des armes qu’il utilise pour des opérations de subversion. Nous l’avons vu récemment au Liban et en Iran où des techniques de désinformation et de manipulation des foules par ces médias ont été utilisées par les Américains et les Israéliens, probablement en étroite coordination. La crise financière, probablement provoquée délibérément afin de créer les conditions favorables à un état de panique à l’échelle mondiale servira de toile de fond à d’autres opérations subversives qui sont déjà en préparation (pseudo réchauffement climatique, virus H1N1…) et qui seront peut-être utilisées comme rideau de fumée pendant des opérations militaires, éventuellement nucléaires, contre un pays comme l’Iran par exemple.

L’arme principale qu’utilise le virus occidental est le concept de l’idéologie des droits de l’homme. Cette toxine, véritable arme de destruction massive est le principal vecteur utilisé par le Système pour tuer les peuples. La seule façon de résister à ce virus est d’affirmer la prééminence du droit des peuples sur les droits de l’homme. C’est au nom de la défense du peuple et de la culture russes qu’un gouvernement peut légitimement interdire aux ONG de M. Soros ou de Mme Albright de remplir leur mission de destruction.

Dans cet esprit la création des « Nashy » est une initiative heureuse pour contrer une éventuelle tentative de révolution colorée en Russie mais la tâche à accomplir ne doit pas être seulement défensive. Pour contrer la désinformation occidentale, il faut dénoncer le libéralisme pour ce qu’il est intrinsèquement, c’est-à-dire une arme mortelle de destruction des âmes. La société russe doit s’orienter résolument vers un recours, et non pas un retour, à la Tradition, afin de puiser dans son riche passé, dans ses traditions religieuses et culturelles, la matière et les idées nécessaires à l’édification d’une société exemplaire et attractive où le rôle des marchands et des financiers soit strictement subordonné au politique et au sacré. Cela implique de briser impitoyablement toutes les idoles de la société marchande et de rompre avec le mythe d’une société de consommation irénique. Cela ne signifie pas un retour à une économie de pénurie. Une société traditionnelle et organique peut parfaitement vivre et se développer dans une relative abondance mais il est du devoir absolu du politique et du religieux de montrer aux hommes qu’il existe une autre voie pour le bonheur que la consommation effrénée et incessante de biens de consommation.

Encore une fois, le peuple russe, dernier peuple blanc échappant encore à la domination anglo-saxonne, doit trouver en lui les forces nécessaires pour proposer au monde cette alternative à la pensée occidentale totalitaire.

C’est en lui que réside le dernier espoir d’aider les peuples européens à échapper à l’emprise du Système. Peu de gens savent que sont déjà en place les mécanismes juridiques pour qu’en 2015 l’Europe occidentale soit rattachée politiquement et administrativement au continent américain. Cet abandon complet de souveraineté, cette subordination totale de l’Europe aux intérêts anglo-saxons n’est que le fruit du travail mené activement par les oligarques de Washington et de Wall Street depuis des décennies et plus spécialement depuis 1945. Ce que les élites russes doivent bien comprendre, c’est que ce désir de se soumettre à la volonté de l’Empire américain n’est partagé en Europe occidentale que par une petite poignée de dirigeants économiques et politiques, formés dans les universités américaines et qui sont devenus de véritables agents du Système. L’immense majorité des gens en Europe est complètement ignorante de ce qui se passe et tant que la société de consommation sera capable de satisfaire le ventre et le bas-ventre des populations aucune contestation sérieuse ne verra le jour. En revanche, la situation de crise économique profonde dans laquelle nous sommes plongés et qui va probablement s’accentuer dans les prochains mois, sera une occasion unique de remettre en cause la légitimité politique du Système occidental afin de tenter de sortir de l’emprise mortelle de l’hégémonie anglo-saxonne. Mais cela ne pourra se faire sans une aide extérieure. Puisse la Russie entendre cet appel. Il en va de l’intérêt du monde et du sien en particulier.



E. Leroy

Moscou, le 27 août 2009

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